
Dans son discours sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen a choisi de commencer par une note sombre : « L’Europe est engagée dans une lutte… Nous pouvons en être certains : c’est une lutte pour notre avenir« . L’horizon est un monde impitoyable, marqué par les guerres, les rivalités et les dépendances stratégiques. D’où le manifeste : « Il est temps que l’Europe devienne indépendanteen matière de défense, de technologie, d’énergie et d’alliances.
Défense et Ukraine : industrie et réalisme
La partie la plus concrète du discours concerne la sécurité. Pour soutenir Kiev et combler le fossé industriel avec Moscou, la Commission propose un « prêt de réparation » financé par le produit des actifs russes gelés et un « avantage militaire qualitatif » pour les forces ukrainiennes, en mettant l’accent sur les drones. Bruxelles va « avancer 6 milliards d’euros » et lancer une alliance sur les drones avec l’Ukraine. Du côté de l’UE, « Readiness 2030 » pourrait mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour la défense ; le programme SAFE est « prêt à fournir 150 milliards d’euros » pour des achats conjoints. « L‘Europe défendra chaque centimètre carré de son territoire.
Gaza et Israël : un changement qui divise
Mme Von der Leyen a qualifié la situation à Gaza d' » inacceptable » et a annoncé un changement de cap : » Nous allons suspendre notre soutien bilatéral à Israël… Nous allons proposer des sanctions contre les ministres extrémistes et les colons violents, ainsi que la suspension partielle de l’accord d’association sur les questions commerciales. » Dans le même temps, « il n’y aura jamais de place pour le Hamas« , avec un appel au cessez-le-feu et à la libération des otages. Une ligne qui risque de susciter des frictions politiques entre les capitales européennes.
Migrations et frontières : les retours à l’ordre
En ce qui concerne les flux irréguliers, le Président a embrassé l’efficacité : » Il n’est pas acceptable que seuls 20 % de ceux qui n’ont pas le droit de rester quittent effectivement l’Europe. Elle a appelé à la mise en place d’un système de retour commun, à la pleine mise en œuvre du pacte et à un régime de sanctions contre les passeurs et les trafiquants – « suivre l’argent », avec des gels d’avoirs et des restrictions de voyage. « L‘Europe est notre maison, c’est nous qui décidons qui y entre.
Compétitivité, énergie, marché unique
En ce qui concerne l’économie, l’objectif est l’accélération industrielle : L’IA et le cloud européens, Scaleup Europe pour retenir les capitaux et les talents, et une feuille de route pour le marché unique jusqu’en 2028 sur les capitaux, les services, l’énergie et les télécommunications (« si quelque chose peut être mesuré, il peut être livré »). En ce qui concerne les réseaux énergétiques, Bruxelles a annoncé des « autoroutes de l’énergie » et le déblocage de huit goulets d’étranglement « du détroit de l’Øresund au détroit de Sicile« .
Le mouvement institutionnel : adieu l’unanimité ?
En matière de gouvernance, la proposition la plus controversée : » Il est temps de se libérer des chaînes de l’unanimité » et de passer au vote à la majorité qualifiée dans certains domaines, « par exemple en matière de politique étrangère », pour « agir plus rapidement ». Cette proposition promet des décisions plus rapides, mais risque aussi d’aggraver les fractures et d’affaiblir la protection de la souveraineté nationale.
Le bilan : points forts et nœuds non résolus
Points forts. Enfin un langage de puissance: investissement dans la défense, chaînes de valeur européennes, attention portée à la sécurité des frontières. La stratégie des drones et l’utilisation des revenus des actifs russes gelés témoignent d’un certain réalisme opérationnel; l’impulsion donnée au capital-risque et à l’intégration des marchés est également la bienvenue, car elle est indispensable pour relancer la croissance et les salaires réels.
Des nœuds non résolus. L’UE reste plombée par une énergie coûteuse et une réglementation excessive: sans un choc de simplification et un programme de compétitivité véritablement neutre sur le plan technologique, la relance risque de rester sur le papier. La ligne adoptée à l’égard d’Israël – entre suspensions et sanctions – semble punitive à l’égard d’un allié clé dans la lutte contre le terrorisme, ce qui risque fort de provoquer des divisions internes. Enfin, l’abandon de l’unanimité en matière de politique étrangère pourrait se transformer en un centralisme qui éloignerait les peuples des choix stratégiques.
La ligne de force et l’épreuve des faits
Mme Von der Leyen a condensé sa recette en une devise : » Il est temps que l’Europe devienne indépendante« . Cette ambition exige trois choses : une puissance militaire crédible (sans dupliquer l’OTAN), des frontières contrôlées avec des retours efficaces et un marché unique complet qui libère le capital, l’innovation et l’entreprise. Tout le reste, de Gaza à la réforme du mode de scrutin, exige de la prudence : l’Europe des nations ne tient que si les nations restent protagonistes. Il s’agit maintenant de passer de l’annonce à l’action.