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Le surprenant virage migratoire de l’Irlande

Essais - novembre 23, 2025

La récente intervention du parlement irlandais sur la politique d’immigration a marqué un changement qui s’est fait discret pendant des mois, mais qui ne s’est cristallisé que lorsqu’il a été déclaré publiquement. Ce qui est ressorti du débat au Dáil le 5 novembre 2025 n’était pas le circuit habituel d’évasions et de réassurances, mais un aveu franc du ministre de la justice, des affaires intérieures et des migrations, Jim O’Callaghan : le système d’asile irlandais est aujourd’hui en « crise ».

Le moment est important. L’Irlande a reçu 18 500 demandes de protection internationale en 2024, ce qui représente environ 45 000 demandes au cours des trois années précédentes. Ces niveaux ont exercé une pression soutenue sur le logement, les services publics, le maintien de l’ordre et la cohésion de la communauté. Même l’insistance du gouvernement sur le fait que le système était fonctionnel s’est effondrée sous le poids de ces chiffres.

Cette réorientation rhétorique est plus qu’une concession tactique. Il reflète un lent recul par rapport à la pratique de longue date du gouvernement consistant à rejeter les inquiétudes concernant les volumes d’immigration en les qualifiant d’hystériques ou d’extrémistes. Pendant des années, ceux qui s’alarmaient étaient caricaturés comme étant « d’extrême droite », même lorsqu’ils décrivaient des contraintes de capacité de base. Le débat a montré que ce réflexe était devenu intenable, remplacé par une reconnaissance tacite que le public avait raison sur les fondamentaux.

Du point de vue d’ECR, le changement de cap de l’Irlande fait écho à des arguments avancés depuis longtemps au niveau de l’UE : la politique migratoire doit être fondée sur la souveraineté, une mise en œuvre crédible et une comptabilité honnête, et non sur des théâtres moraux ou sur le négationnisme.

Le débat a été déclenché par une série d’incidents très médiatisés, dont un incendie criminel dans un centre IPAS à Drogheda et des troubles à Citywest suite à l’agression sexuelle présumée d’une fillette de 10 ans. Dans son discours d’ouverture, M. O’Callaghan a cité des données du CSO indiquant que 149 200 immigrants entreraient en Irlande d’ici avril 2024, dont 86 800 en provenance de pays extérieurs à l’UE, contre 70 000 émigrants. Il est désormais politiquement impossible d’ignorer ce déséquilibre.

Il a également déclaré sans ambages : « Nous ne sommes pas en mesure d’accueillir toutes les personnes qui arrivent » : « Nous ne sommes pas en mesure d’accueillir toutes les personnes qui se présentent. Les données relatives à l’application de la loi ont suivi : 81 % des demandes en première instance sont rejetées, les appels n’aboutissant que dans 25 à 30 % des cas. En 2025, 3 877 ordres d’expulsion ont été émis, et 1 770 renvois ont été enregistrés – bien que l’absence de contrôle des sorties rende la vérification difficile et que le taux d’exécution réel ne soit pas clair.

Le ministre d’État chargé des migrations, David Brophy, a défendu les contributions économiques des migrations mais a reconnu que le système devait devenir « fondé sur des règles » et « planifié » d’ici 2026. Il a souligné les améliorations opérationnelles : le Bureau de la protection internationale est passé de 143 personnes en 2019 à 620 aujourd’hui, ce qui a permis de prendre 14 000 décisions en première instance en 2024, contre 8 500 l’année précédente. L’objectif pour 2025 est de 20 000. Un programme pilote permet déjà un traitement en 12 semaines pour les demandeurs originaires de Géorgie, du Brésil et de l’Inde – un modèle qui devrait être intégré dans la législation d’ici juin 2026.

M. Brophy a également mis l’accent sur un pivot vers des logements appartenant à l’État afin de réduire la dépendance à l’égard des contractants privés et de limiter les dépenses annuelles de l’IPAS, qui s’élèvent à 1,2 milliard d’euros. « Nous avons besoin d’une conversation nationale mûre, basée sur des faits, a-t-il déclaré, et non pas d’une conversation où les préoccupations sincères sont rejetées comme étant du racisme.

Les partis d’opposition n’ont pas été convaincus. Les députés du Sinn Féin ont qualifié le système de « cassé » et de « dysfonctionnel », soulignant que sur les 2 403 ordres d’expulsion émis en 2024, seuls 156 ont été confirmés. En septembre 2025, moins de 10 % des ordres avaient été exécutés. Pearse Doherty a condamné les dépenses « stupéfiantes » de l’IPAS qui ont été allouées à un groupe restreint d’opérateurs privés, exigeant la divulgation de tous les contrats.

Les travaillistes ont salué le débat mais ont critiqué la mauvaise gestion persistante, notant que même avec une baisse de 16 % de l’immigration nette (59 700) jusqu’en avril 2025, le délai de traitement moyen reste de 2,5 ans pour les cas normaux et de 15 mois pour les cas accélérés. Les sociaux-démocrates ont accusé le gouvernement de « siffler des chiens », affirmant que les ministres validaient maintenant les préoccupations mêmes qu’ils dénonçaient auparavant.

L’attention s’est portée sur les volte-face politiques du Taoiseach Micheál Martin et du Tánaiste Simon Harris. Le député Aontú Paul Lawless, qui a longtemps critiqué la politique d’asile, a observé sèchement que si le changement de ton du gouvernement était le bienvenu, « c’était quelque chose dont nous parlions depuis très longtemps et pour lequel nous avons été condamnés ».

Le pivot de l’Irlande reflète des mouvements plus larges dans l’ensemble de l’UE. Plusieurs États membres ont durci leur régime d’asile : Le Danemark a mis en place des contributions liées aux revenus ; les négociations de la coalition allemande en 2025 ont échoué sur les plafonds d’asile ; la Suède a introduit des seuils obligatoires de langue et d’emploi pour les nouveaux arrivants après ses élections de 2022. Ces changements marquent une transition continentale de la position de porte ouverte de la période 2015-2020 vers un modèle centré sur l’application de la loi.

L’adoption par l’Irlande du nouveau pacte sur les migrations et l’asile, qui sera mis en œuvre à partir de 2024, renforce cette trajectoire. Les mécanismes de solidarité du pacte – soutien direct aux États en première ligne en échange de contributions financières ou de relocalisations – ont suscité des inquiétudes en matière de souveraineté. L’Irlande a opté pour la plupart des dispositions, y compris un plan avec l’AUEA déployant 30 personnes pour aider au traitement, mais des questions subsistent quant à la surveillance et au pouvoir de décision. L’ECR a mis en garde à plusieurs reprises contre les quotas de redistribution obligatoires et les restrictions imposées aux vetos nationaux.

Dans toute l’Union, la pression s’intensifie. Le chancelier allemand Friedrich Merz a admis que les demandes avaient atteint des niveaux « insoutenables ». Le gouvernement suédois continue de durcir sa position. L’Italie et la Grèce font pression pour accélérer les procédures aux frontières, tandis que la Hongrie et la Pologne maintiennent des systèmes nationaux plus stricts. Ces dynamiques ont remodelé la base politique : l’application de la loi, les procédures accélérées et le renforcement de l’éligibilité ne sont plus des exceptions, mais des caractéristiques essentielles de la politique de l’UE.

M. Brophy a bien saisi cette évolution lorsqu’il a déclaré : « En Europe, tous les pays sont confrontés au même défi. L’Irlande reflète aujourd’hui un grand nombre de ces mesures ». Le recalibrage de l’Irlande doit être considéré dans ce contexte.

Avec 63,5 millions d’euros alloués par le Fonds pour l’asile, la migration et l’intégration, l’Irlande vise à aligner les mesures d’intégration sur la capacité d’absorption. Pour l’ECR, ces développements confirment des positions de longue date : la migration doit être gérée à sa source, avec des investissements dans la diplomatie, les infrastructures frontalières et les partenariats avec les États d’origine, y compris les Balkans occidentaux et l’Afrique du Nord.

Fondamentalement, la position ECR soutient la Convention de Genève tout en défendant la souveraineté nationale. Cela signifie un partage transparent des données, une assistance significative de l’AUEA et des délais de traitement réalistes, et non des systèmes coercitifs ou une dilution de la responsabilité.

L’histoire de l’Irlande complique sa réponse. Pendant des décennies, la politique d’immigration a été façonnée par une image d’exceptionnalisme humanitaire liée à la diaspora. Avant la pandémie, les demandes d’asile dépassaient rarement les 4 000 par an. L’afflux de 45 000 demandes entre 2022 et 2024 a submergé des systèmes conçus pour une fraction de ce volume.

Les premières mesures prises par le gouvernement ont donné la priorité à la compassion, notamment en élargissant les dérogations pour les arrivées d’Ukrainiens et en développant l’IPAS d’urgence. Mais une mauvaise planification a intensifié les tensions locales. Les manifestations ont été régulièrement qualifiées d' »extrême droite » par des personnalités de haut rang, y compris par le Taoiseach en 2023. Les consultations communautaires sur les nouveaux centres ont été minimes, comme on l’a vu à Dundrum en 2024, lorsque le seul hôtel de la ville a été transformé en centre IPAS sans préavis. Les échecs en matière d’application de la loi, notamment les faibles taux d’exécution des expulsions et les graves lacunes dans les cas impliquant des mineurs non accompagnés, ont alimenté la méfiance.

L’admission par O’Callaghan des « échecs passés en matière d’engagement communautaire » reflète une reconnaissance pragmatique du fait que la position précédente n’était pas viable. Mais le coût politique de ces faux pas a été sévère. Avec les violences qui ont récemment éclaté autour d’un centre d’asile à Drogheda – condamnées par tous les partis comme une « tentative de meurtre » – la patience du public s’effrite. Un consensus entre les différents partis s’est dégagé autour d’une réalité fondamentale : le nombre de demandes a dépassé la capacité d’accueil.

Les réformes proposées incluent désormais les contributions des résidents IPAS qui ont un emploi, ce qui marque une évolution vers l’équité financière et le partage des charges. Le programme de gouvernement s’engage également à rationaliser l’offre de logement en réduisant la dépendance à l’égard des contractants privés, qui absorbent actuellement la majeure partie des 1,2 milliard d’euros de dépenses annuelles.

À l’avenir, le test décisif sera celui de la mise en œuvre. La stratégie 2026 doit donner la priorité à l’hébergement géré par l’État, à une application crédible de la législation et à un contrôle efficace aux frontières afin de décourager les mouvements secondaires et le « shopping de l’asile ». Les délais de traitement doivent être respectés dans la pratique, et non simplement déclarés. Le système ne retrouvera son intégrité qu’avec des délais applicables et une responsabilité opérationnelle.

Pour l’ECR, le pivot de l’Irlande renforce un principe fondamental : la souveraineté n’est pas une opposition à la migration, mais le cadre qui permet de la gérer. Alors que les mécanismes d’application à l’échelle de l’UE se durcissent (délais de 12 semaines, protocoles de retour et procédures frontalières renforcées), l’Irlande a désormais l’occasion de développer un modèle cohérent et axé sur les capacités.

Le défi n’est pas seulement de changer de discours, mais de passer à l’action. Ce n’est qu’alors que l’Irlande trouvera l’équilibre entre compassion et contrôle que le centre politique n’a pas réussi à atteindre et que les électeurs, les communautés et les services de première ligne réclament depuis des années.