Pour la première fois depuis la création de l’Union, une véritable majorité de droite se dessine au Parlement européen – du moins sur certains dossiers clés : le Parti populaire européen (PPE), les Conservateurs et Réformistes (ECR, le groupe de Giorgia Meloni), les Patriotes pour l’Europe, et l’Europe des nations souveraines. C’est cette configuration qui, comme l’a rapporté Euronews, a permis d’approuver le paquet « Omnibus I » sur la durabilité des entreprises et la diligence raisonnable, marquant un déplacement du centre de gravité politique du Parlement.
En Italie, beaucoup l’ont déjà surnommée la « majorité Giorgia« , en raison de sa ressemblance évidente avec la structure qui soutenait le gouvernement Meloni à Rome. Et pour Carlo Fidanza, chef de la délégation de Fratelli d’Italia à Strasbourg, c’est exactement ce dont il s’agit : « Nous avions promis de travailler à la construction d’une majorité de centre-droit […]. C’est le modèle Meloni, c’est-à-dire la majorité Giorgia reproduite au niveau européen », a-t-il expliqué dans une interview accordée à Il Giornale.
De la « majorité Ursula » à la « majorité Giorgia »
Tout au long de la dernière législature, le moteur du Parlement européen a été une majorité centriste: PPE, socialistes (S&D) et libéraux de Renew, avec le soutien occasionnel des Verts. Cette coalition a soutenu la Commission von der Leyen et son Green Deal.
Les élections européennes de 2024 ont cependant rebattu les cartes : les conservateurs et les souverainistes ont progressé, les socialistes ont été en difficulté, les verts ont reculé. Dans ce contexte, la supposée « ligne rouge » censée séparer le PPE de la droite plus radicale est devenue de plus en plus floue.
Le tournant décisif s’est produit à la mi-novembre : sur le paquet révisant les règles ESG, l’alliance traditionnelle PPE-S&D-Renew s’est divisée. Une partie de la gauche a jugé le compromis trop favorable aux entreprises ; de nombreux libéraux ont hésité. Pour éviter de perdre le dossier, le PPE a choisi une autre voie : chercher des chiffres à droite.
Ainsi, dans la pratique, une nouvelle majorité a émergé : le PPE, l’ECR, les Patriotes et l’ENS, avec le soutien de certains membres non inscrits. Elle n’est pas formalisée dans un accord politique stable, mais elle a montré qu’elle pouvait travailler sur le « bon » type de dossiers.
L’affaire Omnibus I : le premier vrai test
« Omnibus I » est le premier test concret de cette majorité. Le paquet intervient sur deux piliers de la réglementation européenne en matière de développement durable des entreprises :
- la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), c’est-à-dire les obligations de reporting ESG ;
- la directive CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), qui oblige les entreprises à contrôler les droits de l’homme et les normes environnementales tout au long des chaînes de valeur mondiales.
L’approche approuvée à Strasbourg réduit considérablement le champ d’application :
- les rapports sur le développement durable sont limités aux très grandes entreprises, avec des seuils élevés pour le chiffre d’affaires et le nombre d’employés ;
- les obligations de vigilance sont allégées et limitées aux géants multinationaux, ce qui exclut la grande majorité des entreprises européennes ;
- l’obligation d’élaborer un plan détaillé de transition climatique est réduite.
Pour les groupes de gauche, cela revient à démanteler la législation sur l’environnement et les droits de l’homme ; pour la nouvelle majorité de droite, il s’agit plutôt d’un acte de réalisme : moins de bureaucratie, plus de compétitivité et la fin de règles considérées comme déséquilibrées par rapport aux concurrents américains et chinois.
Sur ce point, Fidanza lance un avertissement : « Il n’y a plus de temps à perdre si nous voulons éviter la désertification industrielle de l’Europe ». Cette phrase fait le lien entre la critique du nouvel objectif 2040 de réduction des émissions de 90 % et la demande de remettre la défense de l’industrie manufacturière européenne au centre des préoccupations.
Les précédents : Venezuela, déforestation, ONG
L’Omnibus I n’est pas né de la dernière pluie. Dès la législature précédente, un embryon de
Le bras de fer autour de la loi européenne sur la déforestation a été tout aussi important : sur ce dossier, le front PPE-droite a œuvré pour reporter et diluer les obligations imposées aux agriculteurs et aux entreprises forestières, jugées excessives et préjudiciables à la compétitivité de l’Europe.
Enfin, sur des décisions plus « internes » – du prix Sakharov aux groupes de travail sur le financement des ONG, en passant par les règles de transparence dans les relations avec les lobbyistes – le centre s’est déjà fragmenté à plusieurs reprises, obligeant le PPE à regarder vers la droite pour éviter les défaites en plénière.
Le Green Deal en cours de révision : Interdiction des voitures en 2035 et réinitialisation de la politique climatique
La bataille décisive se jouera maintenant sur l’avenir du Green Deal. Le règlement interdisant la vente de voitures à essence et diesel à partir de 2035 est un point d’ignition symbolique. Pour ECR, Patriots et une grande partie du PPE, cette échéance doit être revue : ils demandent une neutralité technologique, une place pour les biocarburants et les e-carburants, et une approche plus progressive afin de ne pas paralyser l’industrie automobile européenne.
Fidanza annonce le choc à l’avance : « Le 10 décembre, la Commission européenne présentera la révision du règlement qui interdit les voitures diesel et à essence à partir de 2035. Nous nous sommes toujours opposés à la solution du tout électrique et avons défendu la neutralité technologique […]. Si nous gagnons cette bataille, nous sauverons le moteur à combustion, les PME de la chaîne d’approvisionnement et des dizaines de milliers d’emplois. »
Il est probable que la même logique sera appliquée à d’autres parties du Green Deal : nouvelles simplifications des règles ESG, obligations allégées pour les PME, révision des étapes intermédiaires de réduction des émissions. Chaque fois qu’il s’agira de relâcher la pression réglementaire, la majorité de droite aura les moyens de l’emporter – si le PPE décide d’en faire usage.
Migrations, pays sûrs et retours : la prochaine ligne de front
L’autre grand champ de bataille sera l’immigration. La Commission a présenté de nouvelles propositions sur les retours, la gestion des frontières extérieures et les accords avec les pays tiers « sûrs ». Dans ce domaine, la majorité centriste est loin d’être garantie : les socialistes, les verts et une partie de Renew s’opposent à tout durcissement.
Pour la droite, en revanche, il s’agit d’un dossier parfait pour consolider son axe avec le PPE. Fidanza ne mâche pas ses mots : « Des mesures fondamentales arriveront en plénière, comme la liste européenne des pays sûrs et le règlement sur les retours, sur lesquelles la gauche pro-immigration est contre nous et la seule majorité possible sera à droite ».
L’objectif déclaré est de construire une politique migratoire basée sur des accords structurels avec les pays d’origine et de transit, des retours plus efficaces, des centres de rétention externes en dehors de l’UE, et moins d’influence pour les ONG. La même approche que celle testée par plusieurs gouvernements de centre-droit au niveau national est ainsi projetée sur la scène européenne.
Une Commission coincée au milieu
Pour Ursula von der Leyen, cette évolution est un casse-tête. Réélue grâce aux voix combinées du PPE, des socialistes, des libéraux et des verts, la présidente de la Commission avait promis de tenir le PPE éloigné de l’extrême droite. Mais lorsque son propre groupe choisit de s’appuyer sur des votes de droite sur des dossiers clés – ESG, Green Deal, migration – la frontière devient floue.
Tant qu’aucune majorité alternative n’émerge, la Commission restera en place. Pourtant, chaque grand dossier se transforme en test de survie politique: si Mme von der Leyen insiste trop sur les politiques et les droits des Verts, elle risque de s’aliéner le PPE ; si elle accepte les corrections proposées par la nouvelle majorité de droite, elle risque de rompre avec les socialistes et les Verts.
Le centre de gravité se déplace vers la droite
Cette nouvelle législature européenne ne dispose pas d’une majorité unique et stable, mais de deux coalitions possibles qui alternent au pouvoir. Dans la pratique, cependant, le centre de gravité du Parlement se déplace vers la droite: le Green Deal est relu à travers le prisme de la compétitivité industrielle, les règles ESG sont assouplies et les politiques migratoires évoluent vers plus de contrôle et plus de retours.
Pour l’Italie de Giorgia Meloni, il s’agit d’une justification politique : la formule de gouvernement de centre-droit n’est plus une exception nationale, mais un modèle qui peut être exporté.
Selon Fidanza, ce qu’il faut maintenant, c’est du « courage sur le vert et les migrants » : si la « majorité Giorgia » s’avère cohérente et durable, Bruxelles pourrait laisser derrière elle la saison du dirigisme vert et rouvrir le jeu sur la croissance économique, la souveraineté et la sécurité des frontières de l’Europe.