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L’Europe à l’épreuve du nouveau pacte sur les migrations

Politique - novembre 24, 2025

Avec le lancement du premier cycle annuel de gestion des migrations, la Commission européenne a inauguré une phase décisive dans la mise en œuvre du Pacte sur les migrations et l’asile, qui entrera pleinement en vigueur en juin 2026. Ce mécanisme annuel représente la tentative de l’Union d’aborder le phénomène migratoire de manière coordonnée, en fournissant une vue d’ensemble de la situation dans les différents États membres et en établissant des critères communs de solidarité et de responsabilité. Le nouveau système, conçu pour éviter les déséquilibres entre les pays les plus exposés aux flux migratoires et ceux de l’arrière-pays européen, prévoit une évaluation annuelle des pressions migratoires et la création d’une « réserve de solidarité » pour soutenir les pays les plus touchés. Cette réserve peut prendre différentes formes : relocalisation de demandeurs d’asile, contributions financières ou soutien opérationnel. Son activation dépendra du niveau de pression migratoire identifié pour chaque pays, sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs définis par la législation européenne. Cette nouvelle architecture administrative vise non seulement à gérer le flux des arrivées irrégulières, mais aussi à créer un équilibre politique entre les intérêts des pays de première entrée et la résistance des gouvernements d’Europe centrale et orientale, traditionnellement opposés à un système de quotas obligatoires. Le défi reste toutefois de taille : la mise en œuvre complète du pacte nécessitera une collaboration permanente entre les États membres et les institutions européennes, dans un contexte encore marqué par de profondes divergences politiques.

L’ITALIE SOUS PRESSION : SOLIDARITÉ EUROPÉENNE ET OBLIGATIONS DE RÉFORME

Parmi les pays les plus touchés par le nouveau mécanisme, on trouve l’Italie qui, avec la Grèce, l’Espagne et Chypre, a été reconnue par la Commission comme l’un des États « sous pression migratoire ». Cette désignation permet à Rome d’accéder à la réserve de solidarité et de bénéficier de relocalisations ou d’une aide économique de la part d’autres partenaires européens. Il s’agit d’une reconnaissance importante, car elle reflète la situation structurelle du pays, qui a été pendant des années la principale porte d’entrée de l’Union en Méditerranée centrale. Toutefois, la solidarité européenne ne sera pas inconditionnelle. Bruxelles a précisé que l’Italie devait appliquer pleinement les nouvelles règles du pacte, en particulier celles qui concernent les mouvements secondaires, c’est-à-dire les déplacements non autorisés de migrants vers d’autres pays de l’UE après leur entrée sur le territoire européen. L’enregistrement systématique des arrivées, la gestion ordonnée des procédures d’asile et la coopération en matière de rapatriement sont les éléments clés exigés de l’Italie pour conserver l’accès au fonds de solidarité. Un premier examen formel est prévu en juillet 2026, lorsque la Commission publiera un « bulletin de notes » sur les États membres, évaluant leur niveau de conformité aux règles du pacte. Si Rome n’a pas achevé les réformes nécessaires, les offres de soutien – qu’il s’agisse de relocalisation ou de contributions financières – pourront être retirées. Cela confirme la double approche du nouveau système : la solidarité doit aller de pair avec la responsabilité nationale.

UNE IMAGE MIGRATOIRE EN MUTATION

Selon le premier rapport annuel européen sur l’asile et la migration, la situation générale dans l’Union montre des signes d’amélioration par rapport aux années précédentes. Entre juillet 2024 et juin 2025, les franchissements irréguliers des frontières extérieures ont diminué de 35 %, principalement grâce au renforcement de la coopération avec les pays d’origine et de transit. Cependant, des défis considérables restent à relever. L’Union reste confrontée à l’accueil des réfugiés ukrainiens, à la pression constante des flux en provenance d’Afrique du Nord et à l’exploitation croissante des migrations par des acteurs extérieurs, tels que la Russie et le Belarus, qui utilisent les mouvements de population comme levier géopolitique aux frontières orientales de l’UE. Dans ce scénario, l’Italie occupe une position particulièrement complexe. Tout en bénéficiant de la réduction globale des arrivées, le pays continue d’enregistrer un nombre important d’arrivées résultant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée. La gestion de ces arrivées, souvent caractérisées par des urgences humanitaires et des tensions logistiques, met à rude épreuve le système national d’accueil, en particulier dans des régions comme la Sicile, la Calabre et les Pouilles. La perspective européenne pour 2026 prévoit de renforcer la coordination opérationnelle et le soutien financier aux États frontaliers, ainsi qu’une plus grande responsabilisation. Pour Rome, cela signifie non seulement améliorer la capacité administrative à gérer les demandes d’asile et les retours, mais aussi participer de manière proactive au développement de partenariats avec des pays tiers, conformément à la stratégie de la Commission visant à « externaliser » une partie de la gestion des migrations.

LE PACTE ENTRE SOLIDARITÉ ET RÉSISTANCE : TENSIONS INTRA-EUROPEENNES

Le nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile est conçu comme un équilibre entre la solidarité et le partage des responsabilités. Cependant, sa mise en œuvre pratique se heurte à une forte résistance de la part de certains États membres, en particulier ceux d’Europe centrale et orientale. La Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont déjà annoncé leur intention de ne pas participer au système de redistribution de l’asile et de ne pas contribuer financièrement au fonds de solidarité. Ces pays contestent le principe même des quotas obligatoires, estimant que les décisions en matière d’immigration doivent rester de la compétence nationale. Certains dirigeants, comme le premier ministre polonais Donald Tusk et le premier ministre hongrois Viktor Orbán, ont ouvertement déclaré qu’ils n’accepteraient pas de migrants sur leur territoire et qu’ils ne verseraient pas de contributions financières, invoquant des raisons de politique intérieure pour justifier leur position. En Hongrie, où les élections législatives se tiendront en avril 2026, Orbán entend faire de la question migratoire un thème central de sa campagne électorale, en mettant l’accent sur le slogan « zéro migrant ». Au niveau institutionnel, la Commission a prévu la possibilité d’exemptions pour certains pays confrontés à des « situations migratoires importantes », comme la Pologne et la République tchèque, leur permettant de demander une réduction totale ou partielle des contributions. Cependant, ces dérogations doivent être approuvées par une majorité qualifiée au Conseil et représentent un point de friction politique, car elles réduisent le montant des ressources et des relocalisations allouées aux Etats sous pression comme l’Italie. Les tensions Est-Ouest compliquent la formation de la « réserve de solidarité », le mécanisme de distribution qui devrait inclure au moins 30 000 relocalisations et 600 millions d’euros de contributions. Si ces chiffres représentent le minimum légal, leur mise en œuvre effective dépendra de la capacité des 27 États membres à trouver un compromis politique d’ici la fin de l’année.

LES PERSPECTIVES DE L’ITALIE POUR 2026

L’Italie est confrontée à un double défi : consolider sa position dans le nouveau cadre de la solidarité européenne et, en même temps, réformer en profondeur son système migratoire. L’objectif est double : d’une part, veiller à ce que les installations d’accueil et les procédures d’asile soient prêtes d’ici 2026 et, d’autre part, démontrer à Bruxelles sa pleine fiabilité administrative et politique dans la gestion des flux migratoires. Les perspectives immédiates incluent une participation active au plan européen de réinstallation et d’admission humanitaire pour 2026-2027, qui vise à créer des voies d’entrée légales pour les personnes fuyant les conflits ou les persécutions. Dans le même temps, Rome devra renforcer la coopération avec les pays d’origine et de transit, en particulier en Afrique du Nord, afin de réduire les départs irréguliers et d’augmenter les retours, comme le préconisent la Commission et le commissaire européen chargé des migrations, M. Magnus Brunner. La mise en œuvre du Pacte offrira également des opportunités financières. L’accès à la réserve de solidarité et aux outils de soutien européens pourrait contribuer à améliorer la capacité logistique et infrastructurelle des centres d’accueil, ainsi qu’à soutenir les programmes d’intégration locaux. Toutefois, ces ressources seront conditionnées au respect des normes européennes en matière d’enregistrement, de suivi et de gestion des demandeurs d’asile. Si le pays parvient à respecter les délais et à mettre en œuvre les réformes requises, il pourra consolider son rôle d’acteur clé dans la gestion des frontières méridionales de l’Union et bénéficier d’une reconnaissance politique et stratégique dans le contexte européen. A l’inverse, tout retard pourrait entraîner une perte de crédibilité et une réduction de l’aide prévue.

VERS UN ÉQUILIBRE ENCORE FRAGILE

Le premier cycle annuel de gestion des migrations marque une étape fondamentale dans le cheminement de l’Union européenne vers une gouvernance plus rationnelle et plus solidaire des flux migratoires. Le système mis en place vise à surmonter la mentalité d’urgence qui a dominé la dernière décennie en introduisant des outils de planification, de suivi et de redistribution des responsabilités. Toutefois, la réussite du projet dépendra de la volonté politique des États membres de traduire la solidarité en actions concrètes. Pour l’Italie, 2026 sera une année décisive. Elle bénéficiera pour la première fois d’un mécanisme de soutien structuré capable d’alléger la pression migratoire sur ses côtes. En définitive, le Pacte européen sur les migrations et l’asile représente un test de maturité politique pour l’ensemble de l’Union. S’il fonctionne, il pourrait marquer le passage d’une gestion fragmentée et réactive à une politique commune fondée sur les principes d’équilibre et de partage. Mais si les divisions internes l’emportent, l’Europe risque de se retrouver une fois de plus mal préparée à faire face aux futurs défis migratoires, laissant des pays comme l’Italie exposés à une pression qui, même avec de nouvelles règles, reste structurellement européenne.