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Entre Washington et Bruxelles : Deux plans de paix concurrents pour l’Ukraine

Le monde - novembre 26, 2025

La guerre en Ukraine est entrée dans sa quatrième année et, alors que le front reste instable, la diplomatie s’accélère. Deux architectures de paix sont sur la table : le plan des États-Unis, fondé sur les travaux de l’envoyé spécial Steve Witkoff, et la contre-proposition européenne, façonnée par l’axe Londres-Paris-Berlin et adoptée par les institutions de l’UE.
Il s’agit de deux visions différentes, non seulement de la manière d’arrêter les combats, mais aussi de l’ordre de sécurité qui devrait soutenir l’Europe après l’agression de la Russie.

Le plan américain : cessez-le-feu rapide, neutralité de facto, réintégration de Moscou

Le plan américain dit « en 28 points » est né d’une négociation en coulisse entre Witkoff et le financier russe Kirill Dmitriev, proche du Kremlin. Ses principaux piliers sont au nombre de trois.

1. Arrêt des combats et gel de la ligne de front
La souveraineté de l’Ukraine est formellement réaffirmée, mais la ligne de cessez-le-feu coïncide essentiellement avec le front actuel. Kiev renoncerait à reconquérir militairement le Donbas et les autres territoires occupés, renvoyant à des négociations ultérieures leur « gouvernance permanente ». Politiquement, cela équivaut à une quasi-légitimation des gains territoriaux de la Russie.

2. Une Ukraine neutre avec des contraintes militaires
Le plan prévoit que Kiev renonce à adhérer à l’OTAN et accepte de limiter la taille et les capacités de ses forces armées (en particulier les missiles à longue portée) en échange de garanties de sécurité fournies par Washington. En pratique, l’Ukraine deviendrait un État tampon : formellement indépendant, mais neutre et vulnérable.

3. Un grand marchandage économique avec la Russie
Sur le plan économique, le texte ouvre la voie à une réintégration progressive de Moscou dans les circuits internationaux : retour au G8, assouplissement des sanctions, accords énergétiques et industriels, y compris dans l’Arctique et d’autres secteurs stratégiques. Pour Kiev, un important fonds de reconstruction est envisagé, financé également par les avoirs russes gelés, mais avec une forte présence de capitaux américains, notamment dans les ressources naturelles et les terres rares.

A cela s’ajoute un chapitre politique sensible : une très large amnistie pour les crimes commis pendant la guerre, des élections présidentielles en Ukraine dans un délai très court et la création d’un « Conseil de la paix » chargé de superviser l’accord. Dans le projet qui a fuité, cet organe serait présidé directement par le président américain, avec un pouvoir de sanction indirect sur Kiev et Moscou.

Les mots de Witkoff, les réactions de Zelensky et de Poutine

Steve Witkoff est devenu le symbole des ambiguïtés du plan. Dans certaines déclarations publiques, l’envoyé a affirmé que la guerre « n’a pas nécessairement été provoquée par la Russie », la liant plutôt aux aspirations de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. Cette lecture fait écho au discours du Kremlin sur la « menace » posée par l’Occident aux frontières de la Russie.

Pour Volodymyr Zelensky, cette approche est inacceptable. Le président ukrainien a décrit le point le plus critique du plan comme l’idée de geler la ligne de front tout en reconnaissant effectivement comme non-ukrainiens « les territoires que Poutine a volés ». L’accepter, a-t-il expliqué, reviendrait à violer le principe d’intégrité territoriale sur lequel repose l’ordre international.

M. Zelensky a reconnu que Kiev est confronté à « l’une des pressions les plus fortes » depuis le début de la guerre : L’Ukraine risque de se trouver confrontée à un choix dramatique, « entre la dignité nationale et la perte d’un partenaire clé ». Mais son message reste clair : pas de paix qui transforme l’agresseur en vainqueur politique du conflit.

De son côté, Vladimir Poutine a qualifié le plan américain de base possible pour un « accord de paix final », tout en critiquant la position de Kiev et en qualifiant les demandes ukrainiennes d' »irréalistes ». C’est une façon de rejeter la responsabilité de la poursuite de la guerre sur la victime de l’agression, tandis que la Russie maintient son emprise sur les territoires occupés.

La contre-proposition européenne : plus de garanties pour Kiev, moins de récompenses pour Moscou

L’Union européenne, d’abord spectatrice, a réagi en développant sa propre architecture de paix. Elle a d’abord élaboré un document informel en 12 points, puis une véritable contre-proposition en 28 articles, qui reprend et modifie le texte américain.

Trois différences politiques sont déterminantes.

1. Pas de « non à l’OTAN pour toujours »
Le projet américain visait à verrouiller la neutralité de l’Ukraine. Le texte européen supprime l’interdiction explicite : L’adhésion à l’OTAN est présentée comme une décision future de l’Alliance, et non comme une option définitivement fermée. La porte reste entrouverte : un signal important pour Kiev et pour les capitales de l’Est.

2. Voie européenne et garanties de sécurité renforcées
L’UE reconnaît explicitement la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’UE et propose des garanties de sécurité renforcées : si la Russie attaque à nouveau, toutes les sanctions seront automatiquement réintroduites et une réponse coordonnée des alliés sera déclenchée. L’idée est celle d’un « parapluie » occidental qui n’est pas, pour l’instant, un article 5 formel.

3. Reconstruction avec des actifs russes et une logique de responsabilité
Pour la reconstruction de l’Ukraine, le plan de l’UE envisage l’utilisation d’actifs souverains russes gelés, liant tout assouplissement des sanctions au comportement de Moscou. Le message politique est clair : ceux qui lancent une agression paient pour les dégâts, ils ne sont pas récompensés par un retour immédiat à la normale.

Sur le point le plus sensible – les territoires occupés – la position européenne reste délicate : elle accepte l’idée d’un cessez-le-feu le long de la ligne de front, mais insiste sur le fait que le sort des régions occupées doit faire l’objet de négociations, sans reconnaissance juridique immédiate des annexions russes. C’est un équilibre instable entre le réalisme militaire et le refus de cautionner une mutilation permanente de l’Ukraine.

Les voix européennes et le dilemme de l’Occident

Les institutions de l’UE revendiquent une ligne de « paix juste et durable ». La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a souligné à plusieurs reprises que mettre fin à la guerre ne pouvait signifier récompenser l’agression : l’objectif déclaré est de faire taire les armes sans ouvrir la porte à de nouvelles invasions, en Ukraine ou ailleurs.

De nombreuses capitales européennes – en particulier celles du flanc oriental – se méfient de l’idée d’une paix qui gèlerait le contrôle russe sur les territoires illégalement annexés. À leurs yeux, un tel compromis affaiblirait non seulement Kiev, mais aussi la sécurité de l’ensemble du continent : si le fait accompli en Ukraine est accepté aujourd’hui, qui garantit que demain, ce ne sera pas le tour de quelqu’un d’autre ?

C’est pourquoi, tout en évitant un choc frontal avec Washington, l’Europe tente de « corriger » le plan américain : plus de garanties pour l’Ukraine, plus de conditionnalité pour la Russie, moins de concessions sur l’OTAN et sur l’avenir européen de l’Ukraine.

Paix imposée ou paix juste ?

En arrière-plan, l’affrontement sur les plans de paix révèle deux approches différentes :

  • les Etats-Unis, focalisés sur l’objectif de fermer rapidement le front ukrainien pour se tourner vers d’autres crises mondiales, semblent plus ouverts à un compromis qui gèle les frontières de facto et ramène Moscou dans le jeu ;
  • l’Union européenne, qui vit la guerre à ses portes, craint qu’une « mauvaise » paix ne rende le continent plus vulnérable et n’envoie au monde le message que l’utilisation de chars d’assaut pour modifier les frontières est finalement payante.

Au milieu se trouve l’Ukraine, qui a payé le prix le plus élevé en termes de vies humaines et de destruction. Zelensky continue d’insister sur sa « formule de paix » : retrait des troupes russes, justice pour les crimes de guerre, garanties de sécurité et plein droit de Kiev à choisir son avenir européen et, un jour, atlantique.

Le véritable test sera de savoir si les plans de paix, américains ou européens, peuvent respecter au moins cet élément essentiel : un règlement qui ne fasse pas de l’invasion un précédent commode, mais qui réaffirme que les frontières ne sont pas déplacées avec des chars et que l’Europe ne retombe pas dans la logique des sphères d’influence.

Ce n’est que dans ce cas qu’il ne s’agirait pas d’une simple trêve imposée, mais d’un véritable ordre de sécurité dans lequel l’Ukraine – et avec elle l’Europe de l’Est – ne serait plus le terrain de jeu de quelqu’un d’autre, mais ferait partie intégrante de l’Occident qu’elle a choisi de défendre.