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L’Europe et la Russie : Sanctionner la propagande sans affaiblir l’Occident

Guerre en Ukraine - Nos démocraties en danger - décembre 22, 2025

La décision de l’Union européenne d’imposer de nouvelles sanctions en décembre contre les personnes et les organisations impliquées dans des opérations d’information pro-Kremlin ne doit pas être mal comprise. Il ne s’agit pas d’un différend culturel, ni d’un débat sur le pluralisme. Il s’agit d’une réponse à une forme d’activité hostile que les institutions européennes et les gouvernements nationaux reconnaissent de plus en plus comme faisant partie d’une confrontation plus large avec la Russie.

Depuis des années, Moscou traite l’espace d’information comme un domaine opérationnel. La désinformation, la manipulation narrative et l’utilisation stratégique des voix occidentales sont devenues des outils au même titre que la diplomatie, les cyber-opérations et la pression militaire. L’Europe n’est pas un spectateur de cette confrontation, elle en est l’un des principaux théâtres.

De ce point de vue, les sanctions adoptées par le Conseil ne sont ni arbitraires ni symboliques. Elles visent des acteurs spécifiques qui, selon des évaluations convergentes dans plusieurs capitales européennes, ont joué un rôle actif dans l’amplification des récits russes destinés à saper la confiance dans les institutions occidentales, à fracturer l’opinion publique et à affaiblir la cohésion politique au sein de l’UE et de l’OTAN.

Les sanctions ne sont pas une question d’opinion

Un point doit être clairement établi. Les personnes sanctionnées ne sont pas visées pour avoir des opinions controversées ou pour avoir exprimé des critiques à l’égard des politiques occidentales. L’Europe reste un espace politique pluraliste, et le désaccord est non seulement toléré, mais intrinsèque à la vie démocratique.

Ce qui est en jeu ici est différent : l’existence d’efforts structurés, persistants et coordonnés qui s’alignent sur les objectifs stratégiques d’une puissance hostile. Les profils concernés sont importants. Bon nombre des personnes sanctionnées sont d’anciens membres de l’armée, des services de renseignement ou des services répressifs des pays occidentaux. Leurs fonctions antérieures leur confèrent crédibilité, autorité et accès, ce qui rend leur message plus efficace.

C’est précisément pour cette raison qu’ils sont des atouts précieux dans la guerre de l’information. Leurs interventions ne sont pas des commentaires isolés, mais font partie d’un modèle répété : les mêmes récits, les mêmes points de discussion, le même cadrage, circulent sur de multiples plateformes et sont répercutés par des réseaux interconnectés. Dans ce contexte, l’intention et l’effet sont indissociables.

Les institutions européennes ne sanctionnent pas la dissidence, elles perturbent l’infrastructure.

Comment les opérations d’information russes opèrent en Europe

Des cas récents illustrent le fonctionnement pratique de ces opérations. Les campagnes de désinformation s’appuient rarement sur un contenu brut ou ouvertement partisan. En revanche, elles utilisent souvent des techniques conçues pour se fondre dans l’environnement médiatique occidental : articles fabriqués imitant des journaux établis, utilisation de thèmes techniques ou liés à la sécurité, et diffusion rapide de contenus par le biais de blogs, de plates-formes de messagerie cryptées et de réseaux sociaux grand public.

Une fois qu’un récit gagne du terrain dans ces espaces, il est souvent repris par des personnalités politiques marginales ou des « analystes indépendants », ce qui lui confère un vernis de légitimité. L’objectif n’est pas nécessairement de convaincre une majorité, mais d’instiller le doute, d’éroder la confiance et de créer la confusion. Avec le temps, la répétition fait le reste.

Cette dynamique est bien connue des services de sécurité européens. La surveillance exercée ces dernières années a montré que les mêmes individus et réseaux réapparaissent dans différentes opérations, en adaptant les thèmes mais en s’alignant toujours sur le message stratégique russe. Cette continuité est l’une des raisons pour lesquelles l’UE est passée de l’observation à l’action.

Un instrument nécessaire mais imparfait

Reconnaître la légitimité des sanctions ne signifie pas ignorer leurs implications politiques. Les mesures de ce type se situent à l’intersection de la politique de sécurité, du droit et de la communication publique. Elles requièrent non seulement une solidité juridique, mais aussi une clarté politique.

L’une des faiblesses de l’approche européenne réside dans la manière dont ces décisions sont expliquées au public. Les sanctions sont souvent communiquées par le biais d’un langage technique et de références administratives, ce qui permet aux acteurs hostiles de les présenter comme opaques ou arbitraires. Moscou n’hésite pas à exploiter cette lacune en se présentant comme la victime de la censure et en dépeignant l’Europe comme intolérante à l’égard des opinions divergentes.

Ce discours est trompeur, mais il gagne du terrain lorsque la logique politique n’est pas clairement exprimée. La question n’est pas de savoir si l’Europe doit agir ; elle le doit. La question est de savoir si l’Europe explique ses actions en des termes que les citoyens peuvent comprendre et défendre.

La défense de l’espace d’information en tant que tâche stratégique

La sécurité de l’information n’est plus une préoccupation secondaire. Elle est directement liée à la résilience nationale, à la stabilité démocratique et à l’autonomie stratégique. Laisser des réseaux hostiles opérer sans contrôle au nom d’une tolérance mal comprise relèverait de la négligence stratégique.

En même temps, la force de l’Europe réside précisément dans sa capacité à faire la distinction entre répression et défense. La crédibilité de l’action occidentale dépend du maintien de critères clairs : cibler la coordination avec les États hostiles, et non la critique généralisée ; perturber les réseaux, et non faire taire le débat.

Cet équilibre est difficile mais nécessaire. L’alternative est de laisser le champ de bataille narratif à ceux qui rejettent ouvertement les principes sur lesquels les démocraties européennes sont construites.

Les sanctions adoptées contre les réseaux de propagande pro-Kremlin sont justifiées et nécessaires. Elles reflètent une prise de conscience croissante du fait que la manipulation de l’information n’est pas une menace abstraite mais un instrument concret utilisé contre l’Europe et ses alliés.

Mais la fermeté doit aller de pair avec la clarté. Une UE qui comprend la nature de la confrontation avec la Russie doit également être en mesure de l’expliquer. Non pas pour s’excuser de se défendre, mais pour s’assurer que ses actions renforcent, plutôt qu’elles ne sapent, la légitimité politique sur laquelle l’Occident s’appuie en fin de compte.

Défendre l’espace d’information ne consiste pas à limiter la liberté. Il s’agit de protéger les conditions qui rendent la liberté possible.