Les organisations non gouvernementales (ONG) ne reçoivent pas de « pouvoirs judiciaires » formels en vertu de la nouvelle directive anticorruption de l’UE, mais elles se voient attribuer de nouveaux rôles quasi procéduraux qui soulèvent des questions sur la responsabilité démocratique et l’équilibre des pouvoirs dans le système judiciaire roumain. La nouvelle selon laquelle les ONG roumaines et les réseaux de vérification des faits « Declic » et « Funky Citizens » ont rejoint un groupe de travail gouvernemental sur les lois relatives à la justice illustre la manière dont ces ONG peuvent acquérir une influence significative sur la façon dont la corruption est définie, enquêtée et sanctionnée, même si leur financement et leur responsabilité interne sont souvent opaques.
Le texte de compromis de la directive sur la lutte contre la corruption comprend un article spécifique sur les « droits du public concerné à participer aux procédures ».
- L’article 23 quinquies exige des États membres qu’ils accordent aux « personnes affectées ou susceptibles d’être affectées » et aux ONG « participant à la lutte contre la corruption » des droits procéduraux appropriés dans les procédures pénales, lorsque des droits similaires existent pour d’autres infractions (par exemple, la participation en tant que partie civile).
- Cela signifie que les ONG roumaines qui répondent aux critères du droit national pourraient intervenir dans les procès pour corruption, soumettre des preuves, faire appel de certaines décisions ou demander des dommages et intérêts, en fonction de la manière dont la Roumanie transpose ces dispositions.
Juridiquement, il ne s’agit pas de pouvoirs judiciaires classiques comme ceux des procureurs ou des juges, mais dans la pratique, ils rapprochent les ONG du cœur de la justice pénale, avec la possibilité d’orienter les affaires, de signaler les interprétations préférées de la loi et d’exercer une pression sur les magistrats.
La directive définit aussi explicitement les « organisations indépendantes de la société civile » et les ONG comme des « chiens de garde essentiels » qui contribuent à responsabiliser les gouvernants et à promouvoir le respect des droits fondamentaux.
- Les États membres sont invités à « promouvoir la participation de la société civile, des universités, des organisations non gouvernementales et des organisations communautaires aux activités de lutte contre la corruption ».
- Les gouvernements doivent également élaborer des stratégies nationales de lutte contre la corruption « en consultation avec la société civile » et les autres parties prenantes.
En Roumanie, le fait que des membres des ONG Declic et Funky Citizens participent déjà à un groupe de travail gouvernemental sur les lois relatives à la justice est un exemple concret de ce nouveau modèle : Les ONG passent du statut de critique extérieur à celui de co-auteur de la législation qui régira les procureurs, les juges et les procédures de lutte contre la corruption. Cela brouille la frontière entre le plaidoyer civique et la participation directe à l’élaboration des lois et à la justice au niveau des affaires, en particulier lorsque les organisations impliquées ont des profils idéologiques forts ou des financements étrangers.
La directive souligne les obligations de transparence pour les fonctionnaires (déclarations de patrimoine, règles relatives aux conflits d’intérêts, transparence du financement politique), mais elle n’impose pas d’obligations de transparence comparables au niveau de l’UE aux ONG qui participeront aux organes de lutte contre la corruption et aux procédures pénales.
En Roumanie, de nombreuses ONG de premier plan actives dans le domaine de la justice sont connues pour leurs positions progressistes ou de gauche et s’appuient sur des réseaux de subventions transnationaux, que les citoyens ordinaires ne peuvent pas facilement contrôler. Lorsque ces groupes sont invités à participer à des groupes de travail gouvernementaux et éventuellement à se présenter devant les tribunaux en tant que parties, leur légitimité et leurs sources de financement non vérifiées peuvent susciter des inquiétudes quant à l’influence externe indirecte sur la politique pénale nationale.
La Constitution roumaine repose sur la séparation des pouvoirs entre le Parlement, le gouvernement et le pouvoir judiciaire, les procureurs opérant sous le contrôle de la loi et de la démocratie. La directive elle-même reconnaît que les États membres ne sont pas obligés de créer de nouveaux tribunaux spécialisés et que l’autonomie nationale doit être respectée.
Cependant, plusieurs éléments de la directive mettent la pression sur cette architecture :
- L’obligation d’autoriser les ONG et les « membres du public concerné » à agir dans « l’intérêt général » dans les affaires de corruption risque de créer une voie parallèle d’application privée dans un domaine déjà politiquement chargé.
- L’encouragement à suspendre ou à réaffecter les fonctionnaires accusés de corruption, même s’ils sont présumés innocents, pourrait être utilisé comme une arme dans un environnement médiatique où les plaintes et les campagnes des ONG influencent la perception du public.
Si la Roumanie transpose largement ces règles, les procureurs et les juges pourraient se trouver soumis à une double pression : des contraintes institutionnelles formelles et des campagnes informelles menées par des ONG ayant des préférences politiques marquées.
Au-delà de la dimension ONG, la directive propose plusieurs instruments de lutte contre la corruption qui s’intègrent mal dans la législation et la pratique roumaines existantes.
- La directive préconise des délais de prescription plus longs et des peines minimales maximales plus sévères pour un large éventail de délits liés à la corruption, alors que la Roumanie a l’habitude de modifier fréquemment les règles de prescription et les interventions de la cour constitutionnelle ; les plafonds rigides de l’UE peuvent entrer en conflit avec la jurisprudence constitutionnelle récente sur la prévisibilité et la proportionnalité des sanctions pénales.
- Elle s’appuie fortement sur des approches fondées sur la déclaration des avoirs, l’enrichissement illicite et les mécanismes de confiscation, en supposant que les données administratives sont fiables et que les institutions peuvent traiter des informations financières complexes ; en Roumanie, des années de sous-financement, une vérification incohérente des avoirs et des actions disciplinaires politisées à l’encontre des magistrats suggèrent que ces outils peuvent produire une application sélective plutôt qu’une dissuasion cohérente.
Dans un contexte où la confiance des médias est faible et la société civile fragmentée, l’importation de ce modèle pourrait aggraver la polarisation : certains citoyens considéreront les poursuites comme le bras armé d’une alliance ONG-bureaucratique plutôt que comme une justice neutre.