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Sánchez exclu du « groupe de Washington » : L’isolement de l’Espagne s’accentue dans un contexte de différends au sein de l’OTAN et d’une politique étrangère erratique

Politique - octobre 22, 2025

A Bruxelles comme à Washington, un constat s’impose : L’Espagne n’est plus à la table où se décide l’avenir stratégique de l’Europe. L’épisode que les diplomates appellent aujourd’hui la formation du « Groupe de Washington » – le groupe de dirigeants européens qui ont accompagné Volodymyr Zelensky aux États-Unis l’été dernier et se sont tenus à ses côtés dans le bureau ovale – est devenu emblématique de cette dérive. La France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les institutions européennes se sont ralliés à une déclaration commune soutenant l’Ukraine et explorant un cadre pour la paix. L’Espagne, de manière ostensible, n’a pas été invitée.

Lorsque le document est apparu, Madrid l’a d’abord rejeté comme une déclaration commune parmi d’autres. Mais quelques heures plus tard, se rendant compte de son poids symbolique, la Moncloa a fait volte-face et a demandé à le signer – trop tard pour masquer le fait que l’Espagne avait été exclue des discussions qui comptaient. Cet épisode illustre ce que de nombreux Européens considèrent aujourd’hui comme la marque de fabrique de la diplomatie de Pedro Sánchez : une posture réactive, soucieuse de paraître alignée, mais en décalage chronique avec le rythme de la coordination occidentale.

Le problème, cependant, est plus profond qu’une signature manquée. Pour Washington, l’Espagne est devenue un test de la complaisance de l’OTAN. Peu d’alliés ont investi aussi peu dans leur propre défense et Donald Trump, de retour à la Maison Blanche et nouvellement enhardi, a fait de Madrid un exemple personnel de ce qu’il appelle le « parasitisme stratégique ». Ces derniers mois, il a accusé l’Espagne de ne pas atteindre les objectifs de l’Alliance, même minimes, et a averti que les alliés qui refusent de dépenser seraient laissés à eux-mêmes pour se défendre. Le ton n’est pas rhétorique, il est punitif.

Il s’agit là d’un changement profond. Pendant des décennies, les contributions à la défense ont été une question technique discutée de manière bureaucratique au sein de l’OTAN. Aujourd’hui, elles sont devenues une ligne de démarcation politique. Le fait que l’Espagne soit le seul État membre à résister au nouvel objectif de cinq pour cent l’a placée en friction ouverte avec Washington, ce qui constitue une rupture sans précédent dans les relations transatlantiques.

La réponse de M. Sánchez a consisté à redéfinir la notion de « défense ». Son gouvernement affirme que les dépenses liées aux catastrophes naturelles, à la résilience climatique et à la cybersécurité devraient toutes être prises en compte dans les engagements de l’OTAN, intégrant ainsi ces priorités civiles dans le grand livre militaire. Environ treize pour cent du budget de la défense de l’Espagne pour 2025 sont réservés à de telles fins, un geste destiné à concilier les restrictions budgétaires et la morale. Bruxelles a répliqué en rappelant à Madrid que les projets « verts » ne sont pas considérés comme du réarmement et ne peuvent être inclus si l’Espagne espère avoir accès aux fonds de défense de l’UE. Ce que Madrid appelle modernisation, d’autres le considèrent comme de la comptabilité créative.

Derrière cette manœuvre sémantique se cache une faille conceptuelle plus profonde. L’Espagne continue de considérer la défense comme une nuisance politique plutôt que comme un investissement dans la souveraineté. Le contraste avec ses homologues européens, dont beaucoup se sont engagés dans des plans de réarmement à long terme, est devenu flagrant. Les dépenses de défense ne sont pas de la consommation, mais de la formation de capital. Elles soutiennent la crédibilité, la dissuasion et l’innovation industrielle. Sans elles, les revendications morales de solidarité ou de « leadership européen » s’effondrent dans la rhétorique.

La frustration de Washington à l’égard de Madrid est aggravée par ce que les responsables décrivent comme une politique étrangère erratique. Alors que d’autres gouvernements européens ont resserré leur alignement sur les priorités de l’OTAN, l’Espagne a cultivé des liens qui semblent conçus pour irriter ses alliés. La Moncloa a assoupli à plusieurs reprises sa position à l’égard du régime de Nicolás Maduro au Venezuela et a cherché un canal de coopération privilégié avec Pékin sous le nom d' »autonomie stratégique ». Ces gestes, considérés à Washington comme idéologiques plutôt que stratégiques, ont renforcé la perception que l’Espagne sous Sánchez aspire à jouer le rôle de médiateur entre les blocs rivaux sans avoir l’influence nécessaire pour le faire.

Le résultat est l’isolement. Lorsque les dirigeants du groupe de Washington ont élaboré un plan pour l’Ukraine, l’Espagne en a été informée après coup. Lorsque M. Trump parle maintenant de la réforme de l’OTAN, Madrid n’est mentionnée que comme un exemple de ce qui doit changer. À Bruxelles, la redéfinition créative de la défense par l’Espagne a suscité un mépris à peine voilé ; à Washington, elle a provoqué une irritation ouverte.

Il y a cependant une leçon à tirer de cet éloignement. Le retour de la politique de puissance a clairement montré que la défense n’est pas un choix idéologique mais un instinct civilisationnel. Elle est la condition de tout le reste, de la prospérité, de la politique sociale et même de l’ambition environnementale. La considérer comme secondaire, c’est méconnaître la logique même de la liberté.

La réprimande de M. Trump peut sembler peu diplomatique, mais elle exprime une vérité que l’Europe, et l’Espagne en particulier, ne peuvent plus ignorer. L’ère du confort stratégique est révolue. Ceux qui n’investissent pas dans leur propre sécurité se retrouveront bientôt à payer un prix plus élevé en termes de perte d’influence, de pression économique ou de vulnérabilité stratégique.

Pour l’Espagne, la voie du retour à la crédibilité est claire. Il ne s’agit pas de rechercher le prestige par des signatures tardives ou des leçons de morale, mais par un engagement cohérent et mesurable : une augmentation soutenue des dépenses de défense, une politique étrangère cohérente ancrée dans l’alliance transatlantique et la compréhension du fait que la force est le fondement de la paix.

D’ici là, l’Espagne restera ce que l’épisode du groupe de Washington a déjà révélé : un pays présent en marge de la photographie, mais absent des décisions qui façonnent le monde.