Depuis des décennies, la politique européenne est convaincue que sa force réside dans les règles, qu’il s’agisse des droits de l’homme, du marché, du climat ou d’autres domaines. Bref, un géant de la réglementation. Mais l’histoire – la vraie histoire – est revenue en force. Guerres, instabilité, menaces asymétriques, rivalités militaires. C’est dans ce contexte que l’impératif émerge : la souveraineté ne s’écrit pas dans des règlements ou des déclarations d’intention. Elle se fabrique. Dans les aciéries. Dans les chantiers navals. Dans les centres de missiles. Sur les chaînes de montage.
Pour la première fois, l’Union européenne, avec son récent feu vert au programme de défense industrielle, semble l’avoir enfin compris.
Le déménagement : d’abord Bruxelles, puis les usines
Le 25 novembre 2025, le Parlement européen a finalement approuvé l’EDIP: un paquet de 1,5 milliard d’euros pour la période triennale 2025-2027, destiné à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), à garantir la capacité de réponse aux menaces, à coordonner les achats et la production, et à inclure l’industrie ukrainienne par le biais d’un instrument de soutien spécifique.
Il ne s’agit pas d’un « fonds slogan », mais du premier premier véritable cadre structurel que l’UE consacre à la défense industrielle – il ne s’agit plus d’une urgence, mais d’un projet à long terme.
C’est comme si nous avions passé des années à discuter de la manière de préparer la pizza parfaite, et que ce n’était que maintenant que nous décidions d’acheter des fours, des pétrins et de vrais ingrédients : plus de théorie, mais du travail concret.
Derrière la ratification : tensions réelles, désaccords politiques, visions différentes
Le fait qu’il ne s’agisse pas d’un consensus unanime est démontré par la position du groupe ECR, la famille politique européenne à laquelle appartiennent des forces comme la nôtre : Les députés ECR ont voté contre la première version du texte – celle qui a été utilisée dans les commissions Industrie et Défense – parce qu’ils l’ont considérée comme « une forme sans fonction », manquant de certains chapitres décisifs.
Pourquoi ont-ils voté ainsi ? Parce que dans les milieux souverainistes et conservateurs, on a longtemps pensé que l’Europe n’avait pas besoin de proclamations creuses, mais d’infrastructures, de capacités de production, d’approvisionnements réels, de chaînes d’approvisionnement solides et, surtout, d’un pragmatisme rapide. Un programme boiteux, incertain ou trop bureaucratique risque de n’aboutir à rien. Mieux vaut un plan concret, clair et incisif.
Finalement, l’EDIP a été adopté, mais seulement après que le Parlement et le Conseil – probablement sous la pression des réalités géopolitiques – sont parvenus à un compromis qui contient au moins un élément formel :
- des limites à l’utilisation de composants non européens (maximum 35 %), afin de préserver de manière réaliste le principe « Achetez européen ».
- l’intégration, dès le départ, de l’industrie ukrainienne dans le système européen, en tant que « partenaire de facto » de la défense européenne.
- un système qui n’est pas une simple « pièce unique », mais qui est conçu comme une structure permanente, capable de fournir une épine dorsale industrielle pour la défense de l’Europe au cours de la prochaine décennie.
C’est une victoire, mais une victoire fragile, en suspens : tout dépendra de la manière dont elle sera mise en œuvre. Et, surtout, de la cohérence des politiques nationales et européennes entre les projets et le soutien réel.
Car pour la droite conservatrice, c’est un tournant – si elle n’est pas trahie
Ceux qui écrivent à partir de positions conservatrices savent que la souveraineté n’est pas un concept abstrait : elle est concrète, matérielle. C’est la capacité de défendre la famille, le peuple, la nation. Défendre les frontières, les villes, la civilisation. Et donc…
- L’industrie de la défense n’est pas une relique du passé, mais la latte de bois sur laquelle repose la liberté.
- « Acheter européen » n’est pas un protectionnisme obtus, mais une prise de conscience stratégique : nous ne pouvons pas nous fier à des chaînes mondiales fragiles lorsque la guerre frappe à la porte.
- L’ouverture à l’intégration de l’industrie ukrainienne n’est pas une question de bienveillance, mais de réalisme géopolitique : elle renforce l’Europe en tant que bloc.
- Le modèle de « défense en tant que marché » doit être abandonné : nous avons besoin d’une « défense en tant que capacité nationale/européenne ».
Si l’EDIP est réellement mis en œuvre, conformément à cette vision, il pourrait être le début d’une renaissance industrielle et défensive pour le Vieux Continent.
Mais les risques sont réels. Et la droite doit être vigilante.
Car il ne suffit pas d’approuver un programme.
- Si les procédures bureaucratiques, les appels d’offres, les certifications et les abstractions réglementaires la ralentissent, elle finira comme de nombreuses « grandes idées » européennes : dans de longues années de néant.
- Si les grands groupes monopolisent les fonds et que les PME sont laissées pour compte, l’esprit originel sera trahi : celui d’une base industrielle étendue, plurielle et résiliente.
- Si le principe « Achetez européen » est contourné ou mal interprété, nous reviendrons au risque de dépendance à l’égard des composants étrangers – précisément la faiblesse que nous voulions éviter.
- Si l' »intégration ukrainienne » devient un moyen de décharger la production lourde sur Kiev, sans plan stratégique commun, tout risque d’être réduit à néant.
C’est pourquoi la droite conservatrice a une double responsabilité : non seulement applaudir lorsque ces mesures sont approuvées, mais aussi veiller à ce qu’elles soient mises en œuvre dans la pratique – avec rigueur, vision et cohérence.
Un tournant – si nous sommes à la hauteur de la tâche
L’EDIP pourrait véritablement marquer un tournant pour l’Europe. Son importance ne se mesurera pas en communiqués de presse ou en rhétorique rituelle, mais dans sa capacité à transformer des ressources limitées en une industrie dynamique : des usines qui fonctionnent, des chaînes d’approvisionnement qui reprennent leur élan, des munitions qui sortent de la chaîne de production, des chantiers navals qui ne s’arrêtent jamais. C’est là que naîtra la crédibilité européenne.
Ceux qui considèrent l’Europe comme une civilisation, et non comme un ensemble de directives, reconnaissent que la force ne s’improvise pas : elle se construit. Elle dépend d’une volonté politique capable de tenir ensemble l’identité, la responsabilité et le libre arbitre des peuples. Elle exige de la clarté, de la détermination et la certitude de ne vouloir déléguer sa sécurité à personne, ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Ankara, ni à aucune autre capitale.
Il est clair que quelque chose a changé. Mais la preuve ne sera pas un vote au Parlement. Elle sera la rapidité avec laquelle nous reprendrons la production. Ce sera la détermination avec laquelle nous attirerons les investissements, réorganiserons les chaînes de valeur, soutiendrons l’Ukraine et consoliderons l’industrie que nous avons sur notre territoire. Ce sera la capacité à se recentrer sur l’idée que l’Europe existe lorsqu’elle est capable de se défendre.
Et c’est là que commence la responsabilité politique. Il n’y a pas lieu de faire du triomphalisme, mais plutôt de prendre des décisions. Nous devons être vigilants, persévérants et exiger la cohérence. Car un programme peut ouvrir la voie, mais seule une classe dirigeante consciente peut le transformer en colonne vertébrale de la sécurité européenne.