Hier, lors de la dernière journée de l’Atreju dans les jardins du Château Saint-Ange (Rome), Giorgia Meloni a choisi un ton à la fois identitaire et explicitement gouvernemental : une longue et dense allocution destinée à tenir ensemble deux fils que l ‘on considère comme inséparables. D’une part, la communauté politique – sa mémoire, sa langue, sa colonne vertébrale culturelle. D’autre part, la trajectoire internationale de l’Italie et la bataille plus large (et de plus en plus européenne) pour modifier l’équilibre des pouvoirs sur le continent.
Le signal du matin : Morawiecki sur la scène de clôture de l’Atreju
Avant le discours de clôture du Premier ministre, l’étape du dernier jour a été ouverte par Mateusz Morawiecki, président du parti ECR et ancien Premier ministre de Pologne. Il ne s’agissait pas d’un événement parallèle, ni d’une apparition de courtoisie. Il s’agissait d’un événement politique.
La présence de M. Morawiecki sur la scène de clôture, au cœur du programme et non en marge, doit être interprétée comme un symbole de l’investissement stratégique de Fratelli d’Italia dans les conservateurs et réformistes européens. En d’autres termes, l’Atreju n’est pas seulement le siège de l’Union européenne : L’Atreju n’est pas seulement la base de l’identité politique de Meloni ; c’est aussi la plateforme où la zone ECR cherche une grammaire politique partagée et, surtout, une ambition de devenir une force décisive en Europe.
La présence de Mateusz Morawiecki sur la scène principale de la dernière journée, avant le discours de clôture de M. Meloni, et dans le même bloc de la journée de clôture où Matteo Salvini et Antonio Tajani étaient également présents, n’était pas qu’un simple détail de calendrier. Il s’agissait d’un message destiné à Bruxelles. Il indique que Fratelli d’Italia souhaite que l’ECR ne soit pas considérée comme une simple « famille politique », mais comme une architecture de pouvoir capable de façonner les équilibres européens, de tirer le centre de gravité du PPE et de forcer la Commission et les majorités traditionnelles à tenir compte d’un axe conservateur de plus en plus structuré. En d’autres termes, l’Atreju sert également de plateforme pour affirmer que les batailles clés – sur la défense, l’immigration et la politique industrielle – se gagnent en changeant les chiffres et la culture politique en Europe, et pas seulement en construisant un consensus en Italie.
Atreju comme méthode : « Ceux qui s’enfuient montrent qu’ils n’ont pas de substance »
Meloni a revendiqué l’Atreju comme une véritable arène de confrontation, « où chaque idée a le droit d’exister » et « où la valeur des gens se mesure par la substance ». Sa réplique la plus acerbe, qui s’adresse indirectement à ceux qui choisissent l’absence, est sans détour : « ceux qui s’enfuient montrent qu’ils n’ont pas de substance ».
Cette formule a deux objectifs. En interne, elle consolide une communauté politique qui se considère toujours comme une force insurgée face aux salons établis et au pouvoir en place. Sur le plan externe, elle renverse une accusation familière adressée à la droite : ce ne sont pas les conservateurs qui ont peur du débat ; ce sont souvent leurs adversaires qui craignent un terrain où les arguments comptent plus que le positionnement médiatique.
Un message à la coalition gouvernementale : l’unité en tant que « communauté de destin ».
Une grande partie du discours a été consacrée à la coalition de centre-droit. Mme Meloni a rejeté l’idée que son gouvernement soit un simple « accident » ou un mariage de convenance, décrivant la majorité comme une « communauté de destin ». Elle a également établi un contraste avec l’opposition : « Nous sommes des alliés et des amis… de notre côté, nous discutons… pour trouver une synthèse », tandis que de l’autre côté – a-t-elle suggéré – le problème est qu’ils ne veulent même pas se confronter « entre eux ».
L’idée sous-jacente était plus politique que rhétorique : la stabilité n’est pas une vertu dans l’abstrait, mais une condition pour gouverner dans un cycle international qui exige rapidité, crédibilité et cohérence.
Bilan intérieur : travail, impôts, « équité » et classe moyenne
En ce qui concerne la politique intérieure, Mme Meloni a insisté sur le fait que le travail était l’indicateur principal, soulignant le taux d’emploi record et le taux de chômage le plus bas depuis des décennies. Elle a présenté ces résultats comme le fruit d’une stratégie visant à redonner une place centrale à l’Italie productive.
Elle a ensuite lié les choix budgétaires et fiscaux à une définition politique de l’équité : réduire l’impôt sur le revenu des personnes physiques et abaisser le coin fiscal, en faisant valoir que la véritable ligne de démarcation n’est pas la rhétorique anti-riches, mais la défense de la classe moyenne et des familles de travailleurs. Dans un passage pertinent, elle a contesté l’idée qu’une personne gagnant 2 500 euros bruts par mois – tout en payant un prêt hypothécaire et en subvenant aux besoins d’une famille – devrait être qualifiée de « riche », en opposant cette caricature à la réalité d’un pouvoir bien établi et de loyers protégés.
La posture internationale : « L’Italie loyale… mais subordonnée à personne ».
Le cœur géopolitique du discours est apparu lorsque Mme Meloni a abordé la sécurité européenne et la relation avec les États-Unis à l’ère Trump. Sa ligne de résumé était claire : « nous voulons une Italie loyale envers tous ses partenaires, mais subordonnée à personne. »
C’est de là qu’est partie la phrase la plus tranchante : « Bonjour l’Europe ». Selon Meloni, si Washington signale un repli plus marqué, l’Europe ne pourra pas continuer à vivre de l’externalisation stratégique. « Pendant quatre-vingts ans, nous avons externalisé notre sécurité aux États-Unis… Il y avait un prix à payer, et il s’appelle conditionnement… la liberté a un prix ».
Dans ce cadre, elle a insisté sur le renforcement de la capacité de défense et de sécurité de l’Europe, allant jusqu’à évoquer un « pilier européen au sein de l’OTAN », capable de traiter « d’égal à égal » avec les États-Unis – sans abandonner le lien atlantique, mais en mettant fin à la logique de dépendance.
Ukraine : un soutien sans ambiguïté – intérêt national et sécurité européenne
Le segment le plus explicite – en accord avec une position fermement pro-Ukraine – concernait le soutien à Kiev. Meloni a réitéré que l’Italie s’est tenue « dès le premier jour » aux côtés du peuple ukrainien, dépeignant l’agression de la Russie comme un projet néo-impérial et présentant le choix de l’Italie non seulement comme une position morale, mais aussi comme un intérêt national et une sécurité européenne, avec l’objectif de parvenir à la paix.
Politiquement, la logique est précise : la souveraineté ne peut être défendue à l’intérieur si l’Europe accepte que les frontières soient redessinées par la force.
Méditerranée, Moyen-Orient, identité : la politique étrangère comme projection de la nation
Le discours a également fait une place à la position méditerranéenne de l’Italie : énergie, routes commerciales, contrôle des flux, rôle actif sur les dossiers du Moyen-Orient, avec des références à la diplomatie et à l’engagement humanitaire. Mme Meloni a également défendu le rôle de l’Italie en matière d’assistance et d’aide, en l’opposant à ce qu’elle a qualifié de propagande.
Sur le plan interne et culturel, l’identité a été traitée comme une question de cohésion et de sécurité : de la critique du fondamentalisme à des propositions telles que l’interdiction du voile intégral, dans le cadre d’un modèle d’intégration qui exige le respect des lois et des coutumes du pays d’accueil.
Europe : pas de déclin, mais une mission – et c’est là qu’ECR revient
L’argumentation de Mme Meloni sur l’Europe s’est articulée autour de deux axes : la critique d’une Europe bureaucratique et idéologique et la défense de la civilisation européenne en tant qu’entité vivante. « L’Europe n’est pas en déclin… c’est une civilisation vivante qui a encore une mission », a-t-elle déclaré, ajoutant qu’elle ne devait pas « demander la permission d’exister ».
Et c’est là que la signification de l’apparition matinale de M. Morawiecki devient encore plus claire. Meloni l’a explicitement remercié, ainsi que la « grande famille des conservateurs européens », en associant le travail de l’ECR à l’effort de construction de majorités alternatives au Parlement européen – à partir de dossiers concrets tels que l’immigration illégale et la défense des frontières – comme preuve que les paradigmes changent lorsque quelqu’un « a le courage de dire les choses telles qu’elles sont ».
Pourquoi Morawiecki « avant » Meloni importe plus qu’une photo
Si le discours de clôture de l’Atreju fixe traditionnellement la ligne politique nationale, l’ordre du programme d’hier laissait entrevoir quelque chose de plus : Fratelli d’Italia souhaite que le profil européen de l’événement fasse partie du récit du gouvernement et ne soit pas un appendice.
Morawiecki, en tant que président du parti ECR, signale que pour Meloni, la dimension européenne n’est pas un corollaire. C’est un axe. Car la bataille pour une Europe plus réaliste en matière de défense, une Europe plus dure en matière d’immigration irrégulière et une Europe plus soucieuse de production et moins gouvernée par le culte de la règle ne peut être gagnée à Rome seulement. Elle se gagne par des changements de majorité et de langage à Bruxelles.