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Valence, épicentre du réveil conservateur de l’Espagne

Politique - novembre 26, 2025

Valence est devenue le point central de la politique conservatrice européenne entre le 19 et le 22 novembre 2025, devenant un centre institutionnel temporaire pour la droite européenne. Pendant quatre jours, la ville a accueilli la réunion du Bureau du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) et, le vendredi 21, le forum public organisé par New Direction. Cette concentration d’événements a fait de Valence le point de rassemblement le plus important du mouvement conservateur du continent depuis les élections européennes.

De hauts responsables politiques, des analystes et des personnalités politiques de toute l’Europe se sont rendus dans la ville, aux côtés d’un contingent espagnol inhabituellement important, composé non seulement de députés européens en exercice, mais aussi d’anciens députés, de responsables régionaux et locaux, d’universitaires conservateurs et de stratèges. La présence de nombreux représentants actuels et anciens de Vox et du Partido Popular – certains participant de manière formelle, d’autres de manière informelle – reflétait visiblement une attente plus large selon laquelle le conservatisme espagnol s’approche d’un moment de reconfiguration. Pour de nombreux participants espagnols, les réunions ont été l’occasion de prendre la température politique de la famille conservatrice européenne et de mesurer la position de l’Espagne au sein de celle-ci à un moment de fragmentation interne.

La réunion du bureau ECR s’est ouverte sur un examen détaillé du contexte géopolitique changeant de l’Europe et des pressions stratégiques auxquelles le continent est actuellement confronté. L’une des principales sessions s’est concentrée sur l’Amérique latine, une région de plus en plus marquée par la rivalité mondiale. Alejandro Peña Esclusa, analyste vénézuélien et ancien candidat à la présidence, a proposé une analyse structurée de l’influence croissante de la Chine en Amérique hispanique, en identifiant les mécanismes par lesquels Pékin a renforcé sa présence dans les domaines du commerce, des infrastructures et des alliances politiques. Son intervention a souligné que l’Amérique latine est devenue une arène stratégique où l’inaction européenne risque de céder son influence à la Chine par défaut, renforçant l’argument selon lequel l’UE doit se coordonner étroitement avec les États-Unis si elle souhaite rester un acteur pertinent dans la région.

La délégation espagnole ECR a joué un rôle particulièrement important tout au long des délibérations du Bureau. L’eurodéputée Nora Junco a présenté l’une des évaluations les plus complètes de la semaine sur la migration en tant qu’instrument de pression géopolitique. Elle a établi des parallèles directs entre l’utilisation de longue date par la Turquie des flux migratoires pour influencer la Grèce et Chypre, et la pression récurrente du Maroc sur l’Espagne, les îles Canaries servant de principal point de vulnérabilité. Son analyse a mis en évidence l’instabilité structurelle de la route atlantique et l’incapacité des politiques actuelles de l’UE à relever les défis combinés du contrôle des frontières, de la coercition hybride et de la pression humanitaire.

L’intervention de M. Junco a été complétée par les perspectives démographiques et politiques de Nicolas Pouvreau-Monti, qui a souligné la nécessité urgente d’une application stricte de la législation européenne existante en matière d’asile. L’eurodéputé Geadis Geadi a ajouté un compte rendu détaillé du contexte de la Méditerranée orientale, illustrant la mesure dans laquelle les acteurs étatiques et non étatiques utilisent désormais systématiquement la migration irrégulière comme outil de pression dans les tensions régionales et les différends bilatéraux. L’ensemble de ces contributions a permis de définir la migration comme un défi stratégique interrégional nécessitant une coordination soutenue au niveau de l’UE.

Son collègue Diego Solier, chef de la délégation espagnole à l’ECR, a attiré l’attention sur les vulnérabilités technologiques et énergétiques de l’Europe, avertissant que la compétitivité future du continent est menacée par sa dépendance à l’égard des écosystèmes numériques américains et chinois et par la fragilité de son réseau énergétique. M. Solier a fait valoir que la capacité de renouvellement industriel de l’Europe est de plus en plus limitée par la surcharge réglementaire et les dépendances de la chaîne d’approvisionnement, et a souligné que la souveraineté technologique doit faire partie d’une stratégie européenne plus large visant à restaurer la résilience économique.

Ces interventions ont contribué à un consensus plus large au sein du Bureau : Les défis sécuritaires de l’Europe sont de plus en plus hybrides, interconnectés et structurels. Pour les relever, il faut renforcer la protection des frontières, consolider l’autonomie technologique et veiller à ce que l’Europe possède les infrastructures nécessaires pour maintenir son indépendance politique et économique.

Reconquérir l’Europe pour le conservatisme

Après les sessions internes de l’ECR, New Direction a organisé un forum d’une journée intitulé  » Reclaiming Europe : Défendre la souveraineté dans un monde multipolaire, le vendredi 21 novembre. L’événement a attiré un large éventail d’universitaires, d’experts politiques, de journalistes et de responsables de partis, représentant un large échantillon de l’écosystème conservateur du continent. Nicola Procaccini a ouvert le forum en évoquant la mission fondatrice de New Direction – enracinée dans l’héritage intellectuel de Margaret Thatcher – et a souligné la nécessité d’une clarté stratégique dans un contexte de bouleversements géopolitiques.

La première session a abordé l’intersection de la migration, de la démographie et de la durabilité de l’État-providence. L’analyste Alejandro Macarrón a présenté des projections démographiques montrant un déclin profond et prolongé de la population européenne en âge de travailler. Il a affirmé que la politique migratoire ne peut plus être détachée de l’arithmétique démographique ou des réalités fiscales des sociétés vieillissantes. Nicolas Pouvreau-Monti, cofondateur et directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), a ajouté que les migrations régulières à grande échelle génèrent régulièrement des flux irréguliers secondaires par le biais des mécanismes de regroupement familial et de poursuite de la migration, ce qui accroît la pression sur les institutions du pays d’accueil et sape la cohésion sociale. Roméo Gbaguidi, président de Lemafriq, a apporté un éclairage important sur la situation migratoire au Sahel.

La politique énergétique et l’autonomie technologique ont fait l’objet de la deuxième grande session. Des experts tels que Víctor González, ancien vice-président de Vox, et Wolfgang Müller, de l’Institut für Unternehmerische Freiheit, ont mis en garde contre le fait que certains éléments de la transition verte de l’Europe avaient été conçus sans tenir pleinement compte de la compétitivité industrielle, de la sécurité énergétique ou de la résilience des chaînes d’approvisionnement. Ils ont affirmé que l’Europe risquait de renforcer sa dépendance structurelle vis-à-vis des fournisseurs d’énergie étrangers et des écosystèmes technologiques externes, à moins qu’une approche plus pragmatique et axée sur la sécurité ne soit adoptée pour la transition énergétique. Arvid Hallen, directeur des études chez Oikos, a également fait quelques remarques importantes concernant la réglementation des émissions de CO2.

La délégation espagnole d’ECR a également joué le rôle d’hôte de l’événement. Le discours d’ouverture du forum a été prononcé par Iván Espinosa de los Monteros, qui a présenté le premier rapport d’Atenea, un groupe de réflexion conservateur espagnol nouvellement créé. M. Espinosa a présenté un diagnostic détaillé de la fragilité institutionnelle de l’Espagne, soulignant l’érosion des contrepoids constitutionnels, la politisation des organes judiciaires et réglementaires et l’affaiblissement du contrôle parlementaire. Il a soutenu que la restauration de la crédibilité institutionnelle est une condition préalable pour que l’Espagne retrouve à la fois la stabilité intérieure et la confiance internationale, et a positionné cet agenda comme central pour tout renouveau conservateur significatif.

Un paysage changeant pour le conservatisme espagnol

Lors de ces deux événements, la présence de personnalités conservatrices d’horizons politiques variés – y compris d’anciens députés, des conseillers régionaux, des fonctionnaires locaux, des spécialistes de la politique et des leaders émergents – a mis en évidence la reconnaissance croissante du fait que le conservatisme espagnol entre dans une période de transition. Les conversations informelles, les réunions parallèles et la diversité même des participants espagnols suggèrent que l’espace conservateur fragmenté cherche activement de nouveaux points de référence et une nouvelle orientation stratégique.

En ce sens, Valence n’a pas seulement servi de cadre à des réunions institutionnelles, mais aussi de moment de diagnostic. Pour de nombreux participants, elle a permis d’avoir une vision claire de l’évolution du paysage conservateur européen et de la manière dont l’Espagne s’inscrit, ou non, dans ce tableau. La semaine s’est achevée sur une évaluation générale selon laquelle Valence a marqué le début d’un réalignement plus large. Elle a réaffirmé la place de l’Espagne dans le débat conservateur européen tout en soulignant que la souveraineté, la compétitivité et la restauration institutionnelle sont susceptibles de définir la prochaine phase de la politique conservatrice en Espagne et dans toute l’Europe.