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Les fugitifs roumains ne peuvent plus échapper à la prison sous la protection d’autres États membres de l’UE

Juridique - septembre 18, 2025

Au cours de la première semaine de septembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt historique qui a un impact direct sur la Roumanie et d’autres États membres de l’UE. La Cour européenne a statué qu’un mandat d’arrêt européen (MAE) ne peut être ignoré ou transformé en simple formalité, et que les États où les fugitifs trouvent refuge ne peuvent plus se charger de l’exécution de la peine sans le consentement explicite du pays qui a prononcé la peine privative de liberté. En d’autres termes, l’Espagne, l’Italie, la Grèce ou la France ne pourront plus offrir « abri et sécurité » aux condamnés roumains sous prétexte de leur réinsertion sociale ou de différences dans les conditions de détention.

Cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne intervient à un moment difficile pour la Roumanie, où le phénomène des condamnés en fuite a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie. Des personnalités du monde politique, judiciaire et des affaires ont choisi de quitter le pays peu avant ou immédiatement après leur condamnation définitive, comptant sur la réticence de certaines juridictions européennes à les renvoyer en Roumanie pour y purger leur peine. Les cas les plus médiatisés sont ceux de Sorin Oprescu (ancien maire de la capitale roumaine qui s’est enfui en Grèce), Alina Bica (ancienne procureure en chef du DIICOT, en fuite au Costa Rica puis en Italie), Ionel Arsene (ancien président du conseil départemental de Neamț, condamné pour trafic d’influence, en fuite au Costa Rica puis en Italie), Ionel Arsene (ancien président du conseil départemental de Neamț, condamné pour trafic d’influence, en fuite au Costa Rica), condamné pour trafic d’influence, qui s’est réfugié en Italie) et Dragoș Săvulescu (homme d’affaires, également réfugié en Italie) font la une de la presse roumaine depuis des mois, alimentant l’idée que la Roumanie ne peut pas ramener ses criminels au pays pour qu’ils y purgent leur peine de prison.

D’où vient le litige : le cas d’un criminel roumain arrêté en Italie ?

L’arrêt de la CJUE, rendu le 4 septembre 2025, est basé sur une affaire peu médiatisée. Un citoyen roumain, condamné en novembre 2020 à plus de quatre ans de prison pour fraude, s’est réfugié en Italie. Un mandat d’arrêt européen a été émis à son encontre et, à la fin de la même année, il a été rattrapé et arrêté sur le territoire italien. Malheureusement pour la justice roumaine, les tribunaux italiens ont refusé de l’extrader, arguant qu’il résidait légalement en Italie et qu’il valait mieux qu’il y purge sa peine en étant assigné à résidence. En pratique, la justice italienne a décidé de reconnaître la peine prononcée en Roumanie, mais en l’adaptant à ses propres normes : elle a réduit la période de détention en compensant les jours déjà passés en détention et a ordonné que le reste de la peine soit purgé dans des conditions beaucoup plus douces (assignation à résidence). Les autorités judiciaires roumaines ont protesté, considérant que le mandat d’arrêt européen restait en vigueur et que le délinquant devait être ramené dans le pays pour y purger sa peine. Le conflit d’interprétation juridique entre la Roumanie et l’Italie est parvenu à la CJUE sur renvoi de la Cour d’appel de Bucarest.

Que dit la Cour de justice de l’Union européenne en réponse à la saisine de la Roumanie ? La réponse apportée par le Luxembourg est sans équivoque : un Etat membre ne peut se charger de l’exécution d’une peine que s’il a le consentement exprès de l’Etat qui a émis le mandat d’arrêt. Toute autre solution porterait atteinte aux principes fondamentaux de la coopération judiciaire européenne. La CJUE a notamment souligné que le mandat d’arrêt européen n’est pas un simple instrument bureaucratique, mais une procédure judiciaire destinée à assurer la remise rapide de personnes ayant fait l’objet d’une condamnation ou d’une enquête pénale. Cette procédure repose sur la confiance et la reconnaissance mutuelles entre les États membres et le refus d’exécuter un tel mandat est une exception qui doit être strictement justifiée.

Plus précisément, les juges européens ont décidé que : les autorités de l’État où se trouve le fugitif doivent lui remettre la personne condamnée, sauf dans des situations clairement réglementées par le droit européen ; si la peine doit être exécutée dans l’État de refuge, cela n’est possible qu’avec le consentement explicite du pays qui a prononcé la condamnation ; sans la transmission de la condamnation et d’un certificat correspondant, l’exécution dans un autre État est illégale ; le principe de la réintégration sociale, souvent invoqué par les tribunaux étrangers, ne peut prévaloir sur l’obligation de se conformer à la MAE. Ainsi, la décision du 4 septembre a un effet rétroactif et affecte directement les cas dans lesquels des pays comme la Grèce et l’Italie ont jusqu’à présent refusé de renvoyer des fugitifs célèbres.

La « loi des fugitifs » et les efforts de la Roumanie pour lutter contre ce phénomène. Il ne s’agit pas d’un problème mineur pour l’État roumain. Selon des représentants de la police roumaine, plus de 4 000 personnes se soustraient actuellement à leur peine de prison. Qu’il s’agisse de hauts fonctionnaires corrompus, de gangsters ou d’hommes d’affaires controversés, nombre d’entre eux ont trouvé un refuge commode dans des pays européens à la législation plus clémente.

Pour limiter ce phénomène, la « loi sur les fugitifs » est entrée en vigueur en mars 2023. Elle prévoit des peines supplémentaires pouvant aller jusqu’à trois ans pour les criminels qui refusent de se présenter à la prison après avoir été condamnés. Bien que la loi ait été contestée devant la Cour constitutionnelle roumaine au motif qu’elle violait les droits fondamentaux, la CCR a rejeté la plainte et déclaré la loi conforme à la Constitution roumaine. En outre, en mai 2024, le Parlement a approuvé une autre réglementation législative : les fugitifs ramenés aux frais de l’État roumain doivent supporter les coûts de la procédure d’extradition. Les coûts de la procédure d’extradition sont loin d’être négligeables. Selon le ministère de la justice, ramener un condamné de l’étranger peut coûter de quelques milliers à 25 000 euros. Statistiquement, pour la seule année 2023, la Roumanie a dépensé près de deux millions d’euros pour le rapatriement des fugitifs.

Exemples célèbres de fugitifs roumains et décisions controversées des tribunaux européens. De nombreuses affaires très médiatisées impliquant des fugitifs condamnés ont suscité la frustration de l’opinion publique. L’ancien maire de Bucarest, Sorin Oprescu, s’est enfui en Grèce, où les tribunaux grecs ont refusé de l’extrader en 2022 en raison de mauvaises conditions de détention en Roumanie. Alina Bica, ancienne directrice de DIICOT, a échappé à la prison après que les autorités italiennes ont refusé de la renvoyer en Roumanie, invoquant des risques liés aux droits fondamentaux. Ionel Arsene, ancien président du conseil départemental de Neamț, a bénéficié en 2025 de la protection des tribunaux italiens, qui ont définitivement rejeté son extradition. Dragoș Săvulescu, homme d’affaires condamné dans l’affaire de la restitution, a purgé une peine « adaptée » en Italie, puis a été détenu et libéré en Grèce. « Paul de Roumanie » (Paul Philippe) a bénéficié de décisions favorables en France et à Malte, ces deux États ayant refusé de l’extrader dans l’affaire de la « ferme Băneasa ». Ces décisions ont tendu les relations diplomatiques de la Roumanie avec d’autres capitales européennes et soulevé des questions sur l’efficacité du mécanisme européen de coopération judiciaire.

Impact de l’arrêt de la CJUE sur la Roumanie

La décision de la Cour européenne de justice est considérée comme une grande victoire par les autorités de Bucarest. Le ministère des affaires étrangères s’est félicité de l’arrêt de la CJUE, soulignant qu’il confirme la position de la Roumanie à Luxembourg et ouvre la voie à l’application uniforme des mandats d’arrêt dans l’ensemble de l’Union européenne.

Selon la ministre Oana Țoiu, il s’agit d’une « bonne nouvelle pour la Roumanie, mais d’une mauvaise nouvelle pour les criminels de haut niveau qui pensaient pouvoir trouver un refuge confortable dans d’autres États membres ». Le ministre des affaires étrangères a également déclaré que cette décision mettait fin à la pratique selon laquelle les tribunaux étrangers convertissaient les peines d’emprisonnement prononcées par les tribunaux roumains en assignations à résidence ou en suspensions déguisées. A terme, la Roumanie pourra invoquer cette jurisprudence dans toutes les procédures d’extradition en cours. En outre, cette décision pourrait entraîner un changement d’attitude dans des pays comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce, où les refus d’extradition ont été fréquents.

Au-delà de l’affaire roumaine, l’arrêt de la CJUE constitue un précédent pour tous les États membres de l’UE et un modèle de coopération judiciaire renforcée au niveau européen. Il réaffirme une fois de plus les principes fondamentaux de l’espace commun de justice : la confiance mutuelle, le respect de l’Etat de droit et l’obligation d’exécuter les mandats d’arrêt européens. A l’heure où certains Etats remettent en cause le fonctionnement des mécanismes communs, cette décision est un signal fort : La justice européenne ne peut être fragmentée selon des critères d’opportunité politique ou de sympathie pour un accusé particulier. Par ailleurs, la CJUE a démontré que si chaque Etat dispose de ses propres politiques pénales et de ses propres normes de réinsertion sociale, celles-ci ne peuvent être utilisées pour contourner les règles communes. Seul le respect des procédures et l’obtention de l’accord de l’Etat d’émission permettent l’exécution de la peine dans un autre Etat membre.

Assiste-t-on à la fin du « tourisme judiciaire » pour les fugitifs ?

Sur la base du régime des alternatives à la détention et de la pratique judiciaire, l’Italie, la France et la Grèce sont considérées comme les pays de l’UE les plus « permissifs ». Le terme « permissif » peut être considéré comme un terme relatif car certains pays appliquent fréquemment des mesures alternatives pour les courtes peines, tandis que d’autres sont réticents mais peuvent refuser l’extradition pour des raisons de droits fondamentaux. En Italie, par exemple, il y a eu récemment des réformes et de vastes plans pour utiliser des mesures alternatives afin de réduire la surpopulation carcérale. Une pratique bien documentée de remplacement ou d’aménagement des peines par des mesures alternatives : assignation à résidence, semi-liberté, mise à l’épreuve, possibilité de conversion de peines relativement courtes par un ensemble de mécanismes judiciaires. Le système judiciaire français compte un pourcentage important de personnes placées sous surveillance/probation. C’est pourquoi la France utilise diverses mesures alternatives et a développé des services de probation, qui créent des possibilités d’exécution « plus facile » dans certaines situations. Selon les données statistiques, la Grèce a un très faible taux de personnes en probation par rapport aux autres pays de l’UE. Cela indique qu’il y a moins de mesures alternatives. Cependant, la difficulté pratique vient du fait que les tribunaux grecs invoquent fréquemment les droits fondamentaux et les conditions de détention dans l’État d’émission pour refuser la remise, le résultat étant une protection efficace pour les fugitifs. En d’autres termes, la Grèce n’est pas « permissive » dans sa loi sur les alternatives à l’exécution des peines, mais elle peut être « protectrice » à l’égard des personnes originaires d’autres pays.

Il est bien connu que les tribunaux de certains Etats examinent non seulement l’existence d’un mandat d’arrêt européen, mais aussi les conditions de détention et les risques de violation des droits fondamentaux si la personne devait être remise aux autorités qui ont émis le mandat d’arrêt. Si des problèmes tels que la surpopulation carcérale ou de mauvaises conditions de détention sont signalés, la remise peut être refusée ou reportée par l’État dans lequel la personne condamnée s’est réfugiée. Dans certains pays, comme l’Italie et, dans une certaine mesure, l’Espagne, les tribunaux peuvent reconnaître un jugement étranger et décider que la peine sera purgée ici sous une forme moins sévère, comme une assignation à résidence ou un travail d’intérêt général.

C’est pourquoi, comme indiqué plus haut, l’arrêt rendu par la CJUE au début de ce mois marque un tournant dans la lutte de la Roumanie contre les fugitifs. Jusqu’à présent, des hommes politiques influents et des hommes d’affaires controversés parvenaient à échapper aux prisons roumaines en se réfugiant dans des pays plus cléments, mais ce sera désormais beaucoup plus difficile. Les juridictions européennes ne peuvent plus adapter ou même modifier les peines à leur guise, ni décider unilatéralement qu’une peine doit être exécutée « dans des conditions plus clémentes » sur leur territoire. C’est la Roumanie, en tant qu’État d’émission, qui aura le dernier mot sur la manière dont la personne condamnée purgera sa peine. Il reste à voir à quelle vitesse cette décision prendra effet dans des cas déjà controversés et dans quelle mesure les États de l’UE qui ont rejeté les extraditions dans le passé seront disposés à se conformer aux nouvelles règles. Ce qui est certain, c’est que pour ceux qui rêvaient d’une « arrestation confortable » à l’étranger, la décision du Luxembourg est une très mauvaise nouvelle.