L’UE prépare un changement majeur en matière de surveillance financière, dans le but d’unifier des marchés fragmentés et de stimuler la compétitivité mondiale.
Il y a un peu plus de dix ans, l’Union européenne a procédé à un transfert de souveraineté historique en confiant à la Banque centrale européenne le contrôle centralisé des banques. Aujourd’hui, l’Union européenne envisage de procéder à une transformation similaire, cette fois dans le domaine de la surveillance des marchés financiers. En décembre, la Commission européenne devrait présenter une proposition législative qui renforcerait considérablement les pouvoirs de l’AEMF, l’Autorité européenne des marchés financiers, en transférant d’importantes fonctions de surveillance des régulateurs nationaux au niveau européen.
Cette initiative marque une étape cruciale dans l’ambition de longue date de l’UE de construire une véritable Union des marchés de capitaux. Malgré la monnaie unique et des décennies d’efforts d’intégration, le paysage financier européen reste fragmenté. Les investissements transfrontaliers sont autorisés, mais les systèmes qui soutiennent les échanges – infrastructures de marché, mécanismes de règlement et surveillance réglementaire – fonctionnent encore largement à l’intérieur des frontières nationales. L’UE compte actuellement 14 marchés de compensation et 32 dépositaires de titres, dont la plupart appartiennent à des bourses nationales et sont supervisés au niveau national. Cette mosaïque de règles et d’autorités a entravé l’émergence d’un marché financier européen unique, profond et liquide, capable de canaliser efficacement les capitaux vers les entreprises et l’innovation.
Avec l’intensification de la concurrence mondiale, le coût de cette fragmentation est devenu de plus en plus évident. Un cadre juridique et de surveillance harmonisé est désormais considéré comme essentiel pour rendre les marchés européens plus attrayants, en particulier pour les investisseurs internationaux. La centralisation de la surveillance est toutefois politiquement sensible, car elle implique un transfert de souveraineté des organismes de surveillance nationaux, tels que la Consob italienne, vers une autorité fédérale. Pour de nombreux gouvernements, il ne s’agit pas seulement d’une réforme technique, mais d’un changement fondamental dans l’équilibre des pouvoirs.
Selon les informations qui circulent à Bruxelles, la prochaine proposition de la Commission vise à renforcer l’autorité de l’AEMF en transférant certains pouvoirs de surveillance du niveau national au niveau européen. La réforme est centrée sur la création d’un conseil d’administration simplifié responsable de la supervision quotidienne, complété par un conseil de surveillance composé de représentants des agences nationales. Le conseil conserverait la capacité de contester les décisions majeures de l’AEMF, garantissant ainsi que les États membres restent impliqués dans la supervision stratégique.
Ce modèle hybride ressemblerait aux structures qui fonctionnent déjà dans d’autres domaines de la gouvernance financière de l’UE, comme le Conseil de résolution unique (SRB), le mécanisme de surveillance bancaire (SSM) et l’autorité de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA) récemment créée. « Nous voulons déplacer la supervision du marché vers le centre », a expliqué un haut fonctionnaire de l’UE. Pourtant, les résistances internes restent fortes. Des pays comme l’Irlande et le Luxembourg, qui sont des centres importants pour les fonds d’investissement et les services financiers, craignent qu’une plus grande centralisation ne nuise à leur compétitivité.
Les partisans de la réforme font valoir qu’une surveillance plus forte et plus unifiée renforcerait la crédibilité de l’UE à l’étranger. Selon eux, les investisseurs internationaux sont plus enclins à investir dans un marché régi par des règles cohérentes et soutenu par une autorité de surveillance solide. « L’existence d’une surveillance fédérale des marchés aux États-Unis n’empêche pas le Delaware d’être un centre financier et n’oblige pas non plus toutes les banques américaines à avoir leur siège à New York », a fait remarquer le même fonctionnaire.
Le scepticisme ne se limite pas aux centres financiers. Plusieurs États membres se sont toujours opposés aux transferts d’autorité en matière financière. L’Allemagne, par exemple, n’a accepté la centralisation de la supervision bancaire en 2012 que lorsque la crise financière mondiale a révélé les faiblesses de son propre système. Aujourd’hui, alors que Berlin est confrontée à une refonte plus large de son modèle économique, une partie de son establishment reconnaît qu’un changement structurel de la supervision financière pourrait être non seulement bénéfique, mais nécessaire.
Pendant ce temps, le marché fragmenté de l’Europe continue de profiter aux grandes banques américaines, qui opèrent de manière transparente de part et d’autre de l’Atlantique et peuvent regrouper des services que les institutions financières européennes doivent se procurer au coup par coup. La proposition de la Commission prévoit également d’augmenter le budget et les effectifs de l’AEMF – actuellement inférieurs à 400 employés – afin de tenir compte de ses responsabilités accrues. Les négociations avec le Conseil et le Parlement européen s’annoncent toutefois difficiles.
Les enjeux vont bien au-delà des détails techniques de la supervision. Le poids économique de l’Europe diminue sur la scène mondiale. En 2000, l’économie de l’UE représentait 95 % de la taille de l’économie américaine ; aujourd’hui, elle n’en représente plus que 65 %. En l’absence de mesures décisives, les projections indiquent que dans dix ans, l’Europe pourrait représenter à peine la moitié de l’économie américaine. Le renforcement de l’AEMF et la mise en place d’une véritable Union des marchés de capitaux ne suffiront peut-être pas à eux seuls à inverser cette tendance, mais ils pourraient bien constituer des étapes indispensables pour éviter que le déclin ne se poursuive.